Si Paul Ariès ne ménage pas, à juste titre, ses attaques contre le capitalisme et sa boulimie productivo-consumériste qui mène notre monde à l’abîme, il semble cependant viscéralement attaché au « droit de propriété ». Estimant que le concept de « décroissance » appartient sans contestation possible à sa petite personne et à ses quelques amis en sandales, il n’a donc de cesse que de dénoncer, pratiquement à chaque numéro de son (fort intéressant au demeurant) journal, les « faux amis » de son cher bébé « décroissant », qu’il surveille comme un père abusif et jaloux bien que, de toute évidence, la paternité réelle ne lui revienne aucunement.
Mais qui sont donc ces terribles et inquiétants « faux amis » qui, dans la mentalité obsidionale d’Ariès, sont bien plus dangereux que les plus farouches adversaires proclamés ? Et bien, grosso modo, ce sont tous ceux qui ont l’outrecuidance de se pencher sur les problématiques de localisme, d’écologie, de simplicité volontaire, de ré-enracinement, d’économie alternative et de néo-ruralisme sans avoir au préalable reçu l’approbation morale et le tampon citoyen de la « gauche ».
Alain de Benoist, les écologistes indépendants, Antoine Waechter… tout le monde y passe. Et au premier rang de ces horrifiques et fantasmés « infiltrés », on trouve, bien sûr, les machiavéliques « identiverts » qui ont la criminelle audace d ‘étendre le concept de bio-diversité aux peuples du monde, qui pensent que le libéralisme marchand mondialisé encourage et se nourrit des flux migratoires et que, de ce fait, on ne peut combattre efficacement l’un sans s’opposer à l’autre, que les hommes sont aussi le fruit d’une héritage, d’une histoire et de valeurs spécifiques et que donc le déracinement massif et le « métissage» imposé à grande échelle sont des crimes contre la pluralité du monde, qu’il ne peut y avoir d’échanges fructueux et enrichissants qu’entre peuples libres, autonomes et différenciés, que la circulation « libre et incontrôlée » des personnes a pour inévitable corollaire celles des capitaux et des marchandises et qu’il est donc mensonger et démagogique de prétendre souhaiter l’un sans assumer l’autre…
Que l’on ne partage pas ces opinions peut bien évidemment se concevoir mais cela fait-il pour autant des « identiverts » des monstres déshumanisés avec lesquels on ne peut « même pas débattre » et dont la dénonciation ignominieuse (et mensongère) est plus cruciale et urgente que le combat contre les néo-esclavagistes du Medef, les pollueurs de tous poils, leurs complices de la finance internationale et tous ceux qui, d’un bord à l’autre de l’échiquier politique, refusent d’aborder le thème de la décroissance sous un autre angle que celui du ricanement méprisant ? Dans l’esprit de Paul Ariès, confit au fin fond de son sectarisme, la réponse est évidemment : oui ! Car, voyez-vous, Monsieur Paul Ariès ne juge pas les faits, les dires ou les actes, non, il sonde les coeurs et les âmes ! Sublime devin, il décrypte les « arrières-pensées » et suppute les « non-dits » !
Les méthodes des procès de Moscou, ont, semble-t-il, encore de beaux jours devant elles…
Les « identiverts » fondent une Amap? Mais c’est qu’ils rêvent de pouvoir aller chercher leurs carottes et leurs navets en chemise brune ma bonne dame !
Les « identiverts » travaillent avec des Africains pour déconstruire le mythe occidentaliste de « l’Eldorado migratoire » ? C’est pour mieux camoufler leur racisme épidermique, bien sûr !
Les « identiverts » tentent de mettre en place une coopérative de défense des viticulteurs familiaux ? Abject protectionnisme petit-bourgeois !
Les « identiverts » proposent une détaxation de proximité… Bon là, on n’a pas encore trouvé ce qui était odieux mais le simple fait que cela vienne d’eux rend cette proposition intolérable et inacceptable !
Dans un monde sain et apaisé, les divergences qui peuvent exister au sein de la mouvance anti-capitaliste et écologisto-localiste donneraient lieu à des échanges et débats sans doute virulents, mais certainement utiles et fructueux . Ce n’est malheureusement pas le cas. Les vieux réflexes idéologiques gauchistes sont plus forts que l’intérêt général et les petits chefs de clans de la décroissance boboesque nullement à la hauteur des immenses enjeux qu’ils prétendent embrasser. Dont acte.
De leur côté, les « identiverts » continueront à clamer « Vivre et travailler au pays ! » sans se sentir obligés d’ajouter « … mais au pays de son choix » par peur panique de sortir des limites rassurantes et confortables du « politiquement correct ». De Dieppe à Yamoussoukro : localisme, communauté, tradition ! Et mort aux cons !