19/08/2011 – 15h55
LOCQUIREC (NOVOpress Breizh) – « Dans quel monde va-t-on vivre demain ? Je viens de fêter mes 90 ans et je n’ai qu’une envie c’est de m’en aller lorsque je vois où nous en sommes arrivés ! » Le romancier et académicien Michel Mohrt, décédé mercredi à Paris, à l’âge de 97 ans, aura finalement été exaucé.
Né à Morlaix en 1914 dans une famille bretonne où la tradition avait un sens, Michel Mohrt fera son entrée dans le monde de la littérature dès l’âge de 14 ans en illustrant de bois gravés Gorsedd Digor, une pièce satirique de l’écrivain breton Jakez Riou. Après des études de droit à Rennes, il ouvrira en 1937 un cabinet d’avocat à Morlaix. Trois ans plus tard la guerre le trouvera à la tête d’une section d’éclaireurs-skieurs à la frontière des Alpes, où sa brillante conduite – il repoussera une attaque italienne – lui vaudra d’être décoré de la croix de guerre.
Après un séjour à Vichy durant une partie de l’Occupation – il était proche de l’Action Française –, il s’installera aux États-Unis en 1947, enseignant la littérature française à Yale et autres universités prestigieuses. En pleine vogue de l’existentialisme, ses étudiants découvriront ainsi Montherlant, Drieu, Morand, Chardonne, Brasillach ou Jouhandeau, écrivains proscrits – pour des raisons politiques – dans les universités françaises. Devenu un grand spécialiste de la littérature anglo-saxonne, il sera à partir de 1952 responsable des traductions aux éditions Gallimard. Essayiste, critique littéraire et historien de la littérature, il traduira notamment William Styron et publiera Le nouveau roman américain (1955) et L’air du large (1970).
Élu à l’Académie Française en 1985, Jean d’Ormesson le recevra en ces termes « Vous êtes breton, catholique et sauvage. J’aurais voulu vous saluer dans votre langue natale qui fut celle d’un Renan, d’un Charles Le Goffic ou d’un Jean Guéhenno : “Aotrou, ni a zo laouen oc’h heti d’eoc’h digemer vad e breuriezveur ar galleg” (Monsieur, nous sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue à l’Académie française). »
L’auteur d’Au Plaisir de Dieu avait vu juste. Incontestablement l’œuvre de Michel Mohrt est marquée par son enfance bretonne : « J’ai passé toute mon enfance au bord de la mer, soumis à ses caprices, à l’horaire des marées, au régime des vents. Très tôt, je me suis émerveillé que la langue bretonne n’ait qu’un seul mot : “glas”, pour désigner le bleu et le vert, couleurs de la mer… » (La maison du père 1979). Très attaché à son pays natal, il séjournera très souvent dans sa maison de Locquirec, dans la baie de Lannion.
Du Répit (Albin Michel 1945) jusqu’à Jessica ou l’amour affranchi (Gallimard 2002), en passant par La prison maritime (Gallimard 1961) pour lequel il reçut le Grand Prix du roman de l’Académie française en 1962 – « un livre étonnant, avec un côté adolescent, bourré de force, de camaraderie et d’aventure » (Erik Orsena in Le Télégramme) – Michel Mohrt aura créé une superbe œuvre romanesque. Sous sa plume, à la fois élégante et classique, des aventures de guerriers et de marins, pleines de sel et d’embruns, prennent vie pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.
Conscient des problèmes de l’époque, lui qui confiait, dans un entretien accordé en 2004 à la revue Réfléchir & Agir « ne penser que du mal du monde moderne », n’hésitait pas à déclarer à propos de la question de l’immigration : « Malheureusement j’ai bien peur qu’il ne soit trop tard. On s’est battu à Poitiers et l’Espagne a retrouvé sa terre après la Reconquista. Mais là, nous vivons une autre conquête de manière pacifique.» Lucide et désabusé.