13/08/2011 – 14h15
PARIS (NOVOpress) — Aux États-Unis, le récent accord entre l’exécutif et le législatif sur un relèvement du plafond de la dette a généré un soulagement trompeur. Cette mesure ne concerne que la dette de l’État fédéral et la capacité du Trésor à rembourser les emprunteurs en faisant marcher la planche à billets n’a jamais été réellement en danger.
Dans un très bon article du Guardian, le journaliste Dominic Rushe dévoile l’amplitude de la crise qui menace les finances locales américaines. Il rappelle que les dettes des collectivités locales, villes, comtés ou États, n’est en rien concernée par cet accord. Or, la croissance a jusqu’à présent retardé les effets des engagements pris dans des temps meilleurs, notamment à l’égard des fonctionnaires. C’est seulement aujourd’hui que des villes frappées par la récession se trouvent confrontées non seulement à des emprunts à rembourser mais aussi à des retraites ou des soins médicaux à payer à leurs anciens employés.
Le journaliste oublie de mentionner que cette situation frappe notamment de plein fouet les villes touchées par la « white flight ». Des localités autrefois florissantes quand elles abritaient une majorité de Blancs, touchent le fond quand l’évolution démographique fait que les familles Euro-Américaines les abandonnent en masse.
Ce n’est pourtant pas le cas de la petite ville de Central Falls dans l’État de Rhode Island se nomme elle même “la ville à l’avenir radieux”. Mais son présent parait bien sinistre. La ville de 18 000 habitants est fière d’être la plus densément peuplée de tous les États-Unis. Mais désormais, elle pourra aussi se targuer d’être la première ville de l’État à se mettre en faillite. Et malheureusement d’autres risquent de suivre son exemple.
À travers tout le pays, des villes sont proches de la faillite alors que l’économie est menacée par une grave récession. Les municipalités criblées de dettes font face à des taux d’intérêt de plus en plus élevés après le rabaissement par l’agence Standard & Poor’s de la note de la dette américaine. Il y a ainsi plusieurs dizaines de villes à risque rien que dans le Rhode Island.
Le comté de Jefferson dans l’Alabama présente le plus grand risque de faillite d’une municipalité dans l’histoire des États-Unis. Cette collectivité doit 3,2 milliards de dollars, reliquat d’un emprunt utilisé pour financer un nouveau système d’égouts. Dans une partie de bras de fer avec ses créanciers, le comté a refusé le vendredi 12 août dernier un accord proposé par les banques. Si une solution n’est pas trouvée, le comté se retrouvera en faillite avec une dette totale de 4,1 milliards de dollars, soit plus de 6000 dollars par habitant, en comptant les nouveaux nés et les vieillards grabataires.
Ce cas n’est pas le seul. La capitale de l’État de Pennsylvanie, Harrisburg, est aussi considérée en faillite, avec 300 millions de dollars de dettes pour un nouvel incinérateur.
Ce qui fait de Central Falls un cas si préoccupant, c’est que la crise financière mondiale n’est pas la principale cause de cette faillite. Les problèmes ont commencé des années auparavant, lorsque la ville a créé un fond de pension pour les baby-boomers qu’elle voulait attirer en leur promettant bien plus de services qu’elle n’en pouvait offrir.
Eileen Norcross, un chercheur du centre Mercatus de l’université George Mason en Virginie pense que d’ici dix ans, des villes comme Los Angeles, New-York ou Chicago pourraient bien faire face aux mêmes problèmes. Ses calculs démontrent que les États-Unis sont déficitaires de trois milliards de milliards sur leur système de retraite. La faillite de Central Falls pourrait être, selon Norcross, le signe avant-coureur d’autres faillites à venir.
La ville a créé son propre système de retraite pour les agents de sécurité publique (policiers, pompiers etc…) dès 1972. Ce système permettait aux agents de prendre leur retraite après 20 ans de service, de recevoir une pension équivalent à 50% de leur dernier salaire annuel et de bénéficier d’une couverture sociale. Robert Flanders, le juge nommé pour redresser les comptes municipaux, déclare que la ville a 80 millions de dollars de dettes dues à son système de retraite et que celles-ci augmentent de 16,3 millions de dollars chaque année. Le déficit de cette année sera de 5,6 millions de dollars. La décision de la ville de faire faillite lui permet de renégocier ses contrats jusqu’à qu’un juge décide de qui obtiendra quoi. Mais les policiers et les pompiers à la retraite vont voir le montant de leur retraite divisé par deux.
La bibliothèque est fermée, les services publics tournent au ralenti et les routes sont pleines d’ornières. Dans les parkings les mauvaises herbes pullulent et les fontaines sont arrêtées. Central Falls n’a jamais été une ville très prospère même avant la faillite. Les pompiers étaient déjà les moins bien payés de l’état. De plus, l’année dernière, tous les enseignants du collège de la ville avaient été licenciés suite aux mauvais résultats obtenus par l’école.
Mark Grusky, l’avocat représentant les pompiers de la ville, dit qu’on a offert à ses clients de toucher à peine 20% de leur pension. “Mes clients ne peuvent pas se permettre cela. Leurs retraites n’étaient déjà pas bien élevées au départ” déclare-t-il. Les deux parties vont désormais s’expliquer devant un tribunal.
Erin Levingstone, habitante de Central Falls de 34 ans, explique que les gens sont partagés sur la question de la baisse drastique des retraites des pompiers et policiers : “De nos jours, si vous prenez votre retraite à 40 ans, cela signifie que vous aurez encore 40 autres années à vivre. Je comprends que ces gens estiment qu’ils devraient toucher ce pour quoi ils ont payé mais les choses sont différentes aujourd’hui”. Cette habitante travaille dans une entreprise locale de revêtement de sols et explique que son entreprise aussi a été durement touché par la crise économique. “J’ai un enfant de 16 ans qui cherche du travail et il n’en trouve pas car des gens de 30 ans courent après les mêmes emplois que lui” raconte-t-elle.
Avec une économie menaçant de sombrer encore plus dans la crise, les États-Unis devront se battre afin de s’en sortir. Beaucoup de grandes villes telles que Boston, New-York, Chicago et Los Angeles possèdent leur propre système de retraite et beaucoup d’entre eux sont malheureusement sous-financés, selon Mme Norcross. La ville de Los Angeles y consacre 5 à 10% de son budget et devra doubler les contributions retraite d’ici 2015 si elle ne veut pas suivre l’exemple de Central Falls, mais à une échelle autrement plus grande. “Les grandes villes ont jusqu’à l’horizon 2020 pour prévenir et éviter ce genre de problèmes” toujours selon Eileen Norcross.
Il y a eu 624 faillites municipales depuis la création de l’US Bankruptcy Code en 1937, dont cinq ont eu lieu l’année dernière, selon l’analyste James Spiotto, expert dans ce domaine au cabinet Chapman and Cutler. L’analyste Meredith Whitney qui avait annoncé la crise des crédits, a prédit une crise massive sur le marché des obligations municipales avec à la clé, des centaines de milliards de dollars de déficits. Tout ceci ne s’est pas encore produit et selon M. Spiotto tout semble indiquer que les choses ne différeront pas de ce qui a déjà pu se passer lors de précédentes périodes de crise financière.
“Le vrai défi pour les municipalités est la façon dont elles stimulent leur économie. Nous vivons une période pleine de défis et si vous n’y faîtes pas face, vous aurez de gros problèmes”. La faillite est une option de dernier recours pour une municipalité. Central Falls a essayé d’augmenter les taxes mais avec les difficultés financières de ses habitants, cela n’a pas suffit. Le gouverneur de l’état de Rhode Island, Lincoln Chafee a aussi suggéré de fusionner avec la ville voisine, plus grande, de Pawtucket. Mais le maire de celle-ci, Don Grebien, a âprement refusé cette suggestion. Avec un déficit de douze millions de dollars, celle-ci a ses propres difficultés et a été obligé de licencier des employés municipaux.
M. Flanders explique que la crise actuelle de l’économie américaine pèse sur la ville, mais que les vrais problèmes couvaient depuis bien plus longtemps. “Franchement, avec toutes les difficultés auxquelles nous devons faire face dans cette ville, il sera difficile d’attirer quiconque, même si l’économie va mieux. Les gens veulent de bonnes écoles, des hôpitaux et différents services publics. Nous ne sommes pas en mesure de leur fournir cela”.