Emmanuel Macron s’inquiète d’un processus de décivilisation : à qui la faute ?

26 mai 2023 | France, Politique

Mercredi, en Conseil des ministres, Emmanuel Macron, évoquant les violences, « quelle que soit la cause », qui frappent notre pays, a parlé d’un « processus de décivilisation ». Aussitôt, le chœur des pleureuses a donné de sa grosse voix. Pour se désoler de ces violences ? Penses-tu ! Pour reprocher au président de la République l’usage de ce mot nauséabond. Le fils de Savonarole et de Torquemada – entendez Edwy Plenel – et quelques-uns de ses épigones y ont vu le signe d’une dérive fasciste du chef de l’État : en 2011, Renaud Camus a publié chez Fayard un essai intitulé Décivilisation. Si ce n’est pas une preuve ! Quand le vitrier propose à Edwy Plenel de « remplacer » sa fenêtre, Edwy Plenel le met-il dehors en le traitant de facho ? D’autant que le néologisme n’est pas de Renaud Camus mais du sociologue allemand Norbert Elias, dont les parents sont morts en camp de concentration. La reductio ad hitlerum va être compliquée, même si, dans ce domaine, on sait Mediapart capable de grandes prouesses.

Le mot décivilisation – déjà utilisé notamment par David Lisnard et Bruno Retailleau bien avant Emmanuel Macron – est aussi fort que juste. Plus fort et plus juste qu’ensauvagement, car s’il désigne la même réalité, il décrit en plus une marche arrière : une régression morale. Le synonyme pourrait être un autre néologisme : « rensauvagement ». Retour à la loi du plus fort et du chacun pour soi. Foin de l’honneur et du respect. De la veuve et de l’orphelin. Les femmes et les enfants après. Ou jamais. Oui, c’était mieux avant. Quand nous étions civilisés.

Dans son œuvre « Sur le processus de civilisation », qui comprend deux volets – La Civilisation des mœurs (1975) et La Dynamique de l’Occident (1975), Norbert Elias explique que la civilisation occidentale s’est échafaudée autour de deux resserrements concomitants : la circonscription de la violence légitime autour d’un État solide, en mesure de la contenir et l’utiliser avec justice ; la contention des pulsions par un corset moral d’autocensure, s’exprimant par un formalisme fort dans les rapports sociaux. L’État est aujourd’hui faible, son monopole de la violence légitime est contesté, le corset moral a disparu, emporté par le reflux du christianisme et, par conséquent, de la conscience individuelle qu’il avait développée. Quant aux code de vie en société… les institutrices se font appeler Léa ou Stéphanie par les enfants (« Madame ? Mais je n’ai pas 80 ans ! »), les ministres écrivent des bouquins pornos, les Présidents font des galipettes dans l’herbe avec des youtubeurs et il n’y a guère que les croque-morts qui ne soient pas en jean, les mains dans les poches, lors des enterrements (avec peut-être le macchabée. Et encore).

Toutes les cases de Norbert Elias sont (dé)cochées. Nous sommes bien dans un processus de décivilisation. Emmanuel Macron a raison. Sauf que s’il n’en est pas le seul promoteur – la décivilisation s’inscrit dans le temps long -, il n’a rien fait pour en inverser la vapeur, bien au contraire : C’est McDonald’s qui déplorerait la montée de l’obésité. Le en même temps est une forme de schizophrénie. Le Président qui pointe la décivilisation est l’Emmanuel Macron du Puy du Fou, pas celui de Macfly et Carlito. Or, il est « l’un et l’autre », comme dit la chanson. Peu de chance, donc, puisqu’on parle de processus, que le processus de réflexion sur la décivilisation se poursuive : l’autre fera taire l’un.

« La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion », écrivait André Malraux. Plus de religion, plus de civilisation. Ou bien, autre hypothèse, pas tout à fait absurde : autre religion, autre civilisation. La France est Perrette pleurant sur le lait renversé. Comment refaire pousser fleurs et fruits sur un arbre que l’on a soigneusement déraciné et que l’on ne veut surtout pas replanter ?

Gabrielle Cluzel

Tribune reprise de Boulevard Voltaire

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