La rue syndicale devient ennuyeuse. Les processions du « monde du travail », réduit à des formations peu représentatives des salariés, reproduisent de lassants rituels. C’est un vieil univers routinier, avec drapeaux et gros ballons, qui se laisse voir partout en France. Certes l’intersyndicale, habilement cornaquée par Laurent Berger (CFDT), a réussi à instiller le doute sur le bienfondé d’une réforme des retraites destinée à rassurer les marchés financiers, affolés par la gestion dispendieuse d’Emmanuel Macron (3000 milliards d’euros de dettes). Mais la crise démocratique, ouverte par le 49-3 et le rejet de la motion de censure, est une cause existentielle qui porte en elle une colère plus générale. Or ce terrain n’est plus de la compétence de la CFDT, de la CGT, de FO, de Sud. Mardi, l’élargissement des protestations n’a pas eu lieu, à cause du maintien de l’unique rejet de l’allongement du travail à 64 ans. Les défilés ont marqué un essoufflement (740.000 manifestants partout en France, mais encore 93.000 à Paris). Ce premier signal oblige à imaginer un renouveau de la révolte populaire, autour d’un dénominateur commun permettant une véritable convergence des exaspérations. La contestation de l’autoritarisme du chef de l’Etat pourrait être ce trait d’union pouvant consolider les protestations, confisquées par la gauche et l’extrême gauche. D’autant que la violence fascistoïde de La France Insoumise est un autre repoussoir.
Henri Guaino l’a redit ce mercredi matin sur CNews : « La société est au bord de la rupture ». Il revient au chef de l’Etat de ne plus s’entêter sur sa réforme mal bâtie, rejetée par une grande majorité de l’opinion. Mais au delà des retraites, c’est le fonctionnement de la Ve République et de son hyper-présidentialisme qui doit être remis en cause. Il est temps de mesurer l’anomalie que représente la fonction présidentielle, qui concentre tant de pouvoirs aux mains d’un homme seul. Le costume pouvait aller à des personnalités d’envergure comme De Gaulle, Pompidou, Giscard, voire Mitterrand. Mais l’habit n’est pas taillé pour de petits hommes pleins d’immodestie et d’incompétences. C’est bien sur Macron que se concentrent les rejets, y compris de la part de ceux qui, gauche et syndicats compris, ont appelé à voter pour lui au second tour face à Marine Le Pen. Comme l’écrit l’historien des institutions Philippe Fabry dans FigaroVox, la fonction présidentielle « appauvrit et radicalise le débat public en faisant de sa conquête l’enjeu politique majeur, au détriment de toute recherche de compromis ». Pour lui, la Ve République est « une anomalie cernée de démocraties parlementaires (…) Une anomalie qui touche à sa fin et nécessite de revenir au régime parlementaire ». Je ne sais pas si, comme l’annonce Fabry, « le régime va tomber » ni si Macron « sera amené à se démettre ». Mais c’est bien son autoritarisme qui devient insupportable.
Ivan Rioufol
Texte daté du 29 mars 2023 et repris du blog d’Ivan Rioufol