Le droit va parfois de travers… par Philippe Bilger

17 mars 2023 | France

François Mitterrand disait paraît-il, “J’ai deux avocats, Robert Badinter pour le droit et Roland Dumas pour le tordu”…

Comment ne pas sortir de cette dérision en prenant acte de tout ce qui nous émeut, nous indigne, nous scandalise et nous stupéfie, crimes, délits, terrorisme, absurdités du quotidien, contentieux incompréhensibles, aberrations contraires au bon sens ?

J’ai déjà écrit un billet (“Pour une justice de rupture”, le 29 octobre 2021) pour dénoncer la sanctification de l’État de droit dont le caractère globalement intangible est une offense à tout ce que notre société secrète de transgressions inventives, de minorités violentes et d’irrespect des autorités, élues, de police et de justice. Sans omettre mon post d’hier aspirant au retour rapide des peines planchers.

Au-delà de ces réformes fondamentales qui seraient de rendre la justice pénale plus rapide et plus efficace, plus accordée avec le sentiment majoritaire des citoyens, tous les jours nous sont proposés des ridicules et des extravagances qui donnent toute licence pour nous interroger sur cette banalité ressassée : les magistrats, judiciaires ou administratifs, doivent appliquer la loi. Parce que je suis un ancien magistrat, je me sens précisément plus légitime que d’autres pour m’en prendre à ces errements qui demeurés tels quels amplifieraient la mésentente entre les juges et la société qui les juge.

Par exemple, à la fin de 2021, Francophonie Avenir avait demandé à la maire de Paris de retirer deux plaques apposées dans un couloir de l’hôtel de ville, gravées en écriture inclusive. La justice administrative a rejeté le recours de cette association, le 14 mars, en motivant que l’écriture inclusive ne contrevient pas à la loi de 1994 sur la langue française (Le Figaro).

Outre le caractère grammaticalement absurde de cette écriture inclusive dévoyant notre langue au nom d’une égalité entre les sexes totalement inappropriée en l’occurrence, on peut pourfendre une argumentation validant une dérive extrême, faussement progressiste, de la langue française, en considérant que l’intégrité de celle-ci n’est pas affectée. Comme si une juridiction, derrière une sauvegarde pointilliste et textuelle de la loi, n’avait pas aussi à récuser les conséquences délétères qui pouvaient lui être ajoutées par une volonté politique contredisant le bon usage de la langue.

Pire encore, sur un plan judiciaire, une propriétaire a été condamnée à dédommager deux de ses squatteurs obtenant chacun 2 000 euros de dommages-intérêts.

À Lyon, dans un immeuble de 800 m2 que depuis le mois de mai 2021 une vingtaine de squatteurs avaient entièrement saccagé – 512 000 euros réclamés pour la réhabilitation -, ceux-ci avaient obtenu de demeurer sur place jusqu’à la fin de la trêve hivernale. Mais le 23 janvier, la propriétaire a profité de leur absence pour condamner l’entrée et placer l’immeuble sous surveillance. Deux squatteurs – un serrurier et un professeur des écoles – ont invoqué une violation de domicile et saisi la justice. D’où les dommages-intérêts après que tout de même ils ont été déboutés de leur demande de “pouvoir réintégrer leur domicile” (Le Figaro).

Malgré l’apparente cohérence du processus, on ne m’empêchera pas de le trouver délirant, courtelinesque pour rire, kafkaïen pour s’en désoler.

Comment le citoyen pourrait-il avoir la moindre empathie, la déférence minimale pour une institution qui seulement soucieuse de la perfection formelle de ses démarches juridiques est prête à aller ainsi jusqu’au bout de l’indécence ? Ne faudrait-il pas une fois pour toutes réviser un État de droit qui autorise de telles anomalies ? Ne conviendrait-il pas de refuser qu’une situation illégale dès l’origine puisse créer des droits pour les transgresseurs et davantage même, leur octroyer de l’argent ?

Je sais bien que d’aucuns vont se féliciter de cet État de droit qui va au secours de ceux qui d’emblée ont méprisé le droit. Ce serait le signe d’une démocratie respectable. En l’espèce, pour moi, ce serait plutôt l’inverse.

Quand le droit heurte le bon sens et qu’il va de travers, la seule politique à mener est de le remettre à l’endroit. Et de rendre la justice lisible et compréhensible.

Tribune reprise de Philippebilger.com

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