Une philosophie de la guerre. Entretien avec Henri Hude

1 mars 2023 | Actualité internationale, Culture

Face au risque permanent de conflit de haute intensité, la solution à la guerre ne réside pas dans une sorte d’Empire planétaire, mais dans un sursaut philosophique et spirituel. L’actualité rend indispensable une réflexion sur ce qu’est la guerre aujourd’hui et sur la façon d’appréhender la paix.

Henri Hude est universitaire, maître de conférence et ancien enseignant à Saint-Cyr Coëtquidan ainsi qu’à l’Institut Jean-Paul II à Rome. Il est l’auteur de Philosophie de la guerre.
Propos recueillis par Côme de Bisschop.

Alors que la guerre fait son retour dans les consciences et que l’imaginaire collectif s’accorde pour la considérer comme un « mal », comment faut-il articuler la guerre et la morale ? Qu’est-ce qu’une guerre « juste » et est-elle encore applicable dans la complexité du monde actuel ?

Lorsque les responsables politiques doivent envisager la possibilité de recourir à la force armée dans une situation particulière, cela pose évidemment pour eux un problème fondamental de morale. Il est évident que la guerre est un « mal » puisqu’elle utilise la force, la ruse ou encore la violence. La loi morale c’est plutôt la paix, l’amitié, la justice. L’emploi systématique de la force est ainsi absolument contraire au mode de vie amical. Il est donc clair que la guerre porte en elle un caractère immoral qui amène d’ailleurs à un dilemme. En effet, d’un point de vue moral, la guerre est un « mal ». Cependant, le pacifisme absolu n’est pas non plus acceptable d’un point de vue moral, car il implique une obligation de renoncer à toute légitime défense collective devant n’importe quel agresseur. C’est donc une doctrine politique qui a pour effet de donner nécessairement le pouvoir au plus pervers, ce qui est inacceptable. Nous voilà ainsi enlacés dans un dilemme entre d’un côté l’immoralité de la guerre, de l’autre l’immoralité du pacifisme. La théorie de la « guerre juste » représente un effort pour se dégager de cette contradiction afin de pouvoir prendre des décisions qui soient équitables et prudentes. Cette notion a pour effet de faire de la paix la norme concernant la façon dont on faire la guerre. En outre, la difficulté tient aujourd’hui dans le fait que depuis 1945, la totalité de la stratégie se trouve soutenue par la dissuasion nucléaire.

Malgré nos différences culturelles ou civilisationelles, vous insistez sur le fait qu’il existe une morale dite « naturelle ». Pensez-vous que la loi naturelle soit suffisante pour apaiser nos différences sur la scène internationale ?

La loi naturelle est difficile à comprendre dans le cadre des concepts de l’Occident postmoderne. L’idée qu’il puisse y avoir dans ce qu’on appelle « nature » une quelconque normativité est peu recevable aujourd’hui et ceci est à l’origine de la crise identitaire actuelle de l’homme. Cependant, l’idée que la nature, en tant qu’harmonie, puisse être porteuse de normes relativement claires pour l’homme me paraît tout à fait raisonnable. Cette loi naturelle est la bonne foi et la philia, c’est-à-dire l’amitié sociale. À ce titre, Aristote dans son Éthique à Nicomaque, nous dit qu’il n’y a pas de différence entre un véritable ami et un honnête homme. Or quelle que soit la culture dans laquelle on vit, on sait ce que c’est qu’un véritable ami. C’est en quelque sorte l’universel de la culture qui est lié à l’universel de l’homme. Thomas Hobbes apporte une contribution remarquable à la notion de loi naturelle. Il précise que « l’état de nature » de l’homme est paradoxalement celui de la « guerre de tous contre tous » et que la loi naturelle est celle de la paix. Ainsi, encore une fois, selon la loi naturelle, la norme de la guerre c’est la paix.

La guerre est-elle inscrite en l’homme et est-elle en ce sens inévitable ? Autrement dit, la paix perpétuelle, au sens kantien, est-elle utopique ?

La guerre est un phénomène qui semble universel dans l’espace et dans le temps. Elle s’enracine dans l’homme en tant qu’il est homme. Il y a donc bien quelque chose en l’homme qui l’anime à la guerre. L’idée de Hobbes selon laquelle « l’état de nature » de l’homme mène à la « guerre de tous contre tous », bien que paradoxale, est tout à fait véridique. Ceci s’explique par le fait que l’homme connait sa loi naturelle, mais son état de nature est très souvent un état qui résulte de la non-application de cette loi naturelle. C’est ce que nous dit Saint Thomas : « l’animal raisonnable agit le plus souvent de manière déraisonnable ». Ainsi, si l’on voulait la paix, il faudrait changer radicalement notre conduite, il faudrait se forcer d’être sage, pieux et saint, or beaucoup n’ont pas envie de l’être, ou seulement en surface. Pour reprendre ce que nous disions sur Aristote, nous voulons des amis, mais comme nous n’agissons pas en parfait honnête homme, nous ne pouvons avoir de véritables amis et pour en avoir, il nous faut donc un ennemi commun.

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