Boulevard voltaire a rencontré Philippe de Villiers, pour un grand entretien sans tabous avec Gabrielle Cluzel, à l’occasion de la sortie de son roman, La Valse de l’adieu. Puy du fou, destin de la France, immigration, natalité, roman national. Un grand moment à ne pas manquer.
Gabrielle Cluzel. Merci d’avoir répondu à notre invitation. Vous venez de publier un roman historique La valse de l’Adieu publié aux éditions Plon. Pourquoi affectionnez-vous ce genre ?
Philippe de Villiers. J’ai vécu mai 68 comme un traumatisme. Mon professeur d’histoire m’a alors expliqué que le roman national venait de se prendre un cocktail Molotov tiré depuis La Sorbonne, ils en avaient fait un roman noir et l’avaient tué. En réalité, j’ai compris très vite ce qu’ était le roman national et pourquoi ils l’avaient tué. Le roman national était un saint-chrême de substitution. Après la guerre de 1870, et la défaite de Sedan, les historiens républicains se sont dit que l’ancienne unité était morte et qu’il fallait en faire une nouvelle. Il fallait trouver un saint-chrême de substitution, c’est-à-dire un fédérateur qui puisse permettre à tous les Français de célébrer la même France. Ce n’est pas l’Eglise qui est allée chercher Jeanne d’Arc, ce sont les historiens républicains qui sont allés chercher la bergère qui avait touché au saint-chrême. De la même manière, ils sont allés chercher Clovis et ont fait monter derrière le tableau noir chaque matin le soleil. Le roman national était un récit légendé avec cette phrase de Fustel de Coulanges : « Le peuple qui ne rêve plus meurt de froid ».
Un jour on s’est dit qu’il fallait recréer le roman national, mais sous une autre forme. Le roman national était un récit de puissance, imprégné de la vision du monde de Vidal de Lablache qui a montré la grande puissance de la France à travers le monde. Le roman national célébrait la grandeur et, aujourd’hui ça ne dit plus rien aux jeunes Français et célébrer la puissance, ça fait rigoler la planète. La France est malheureusement un pays déclassé. Mais il y a une autre porte, celle du beau. Aujourd’hui les, les jeunes sont des écorchés vifs et il faut chercher chez eux les tendresses enfouies. Si on passe par la porte du beau, on va pouvoir faire un roman national qui soit un roman d’amour. C’est ce que j’ai commencé à faire avec Charette, Saint-Louis, Jeanne d’Arc, Clovis et maintenant avec la période du XIXe siècle.
G.C. Vos précédents romans historiques étaient centrés sur des personnages illustres. Là vous explorez l’âme paysanne et la période de l’Empire et de la Restauration. Ce sont des périodes peu présentes au Puy-du-Fou, pour quelle raison ?
P.d.V. Cette histoire, je la porte en moi depuis l’enfance. Mon père et ma mère nous emmenaient en 2CV au mont des Alouettes, il fallait traverser un carrefour de quatre routes, les Quatre Chemins de l’Oie, qui avant était le carrefour Napoléon. Tout cela se mélangeait en moi. Mes parents nous racontaient l’histoire de Napoléon qui avait rencontré, à cet endroit, un échantillon de Blancs et de Bleus pour panser les plaies et en même temps visiter la ville qu’il avait créée. Arrêté devant un alignement de personnalités, il a vu un hussard. C’était une fille qui avait emprunté un uniforme à un hussard. L’empereur a compris qu’elle avait tué un hussard. Il lui a demandé ce qu’elle faisait pendant les guerres de Vendée, celle-ci lui a répondu qu’elle était blanche. Il s’est reculé. À côté d’elle, se trouvait le maire avec une écharpe. C’était son frère. L’empereur lui a demandé ce qu’il faisait pendant la Grande guerre, celui-ci lui a répondu qu’il était neutre. Napoléon lui a alors répondu qu’il n’était qu’un jean-foutre. Ce nom lui est resté. Comme il était luthier à Montaigu, il a fermé son atelier et a tout perdu : sa mairie, son atelier. Ce qui va le sauver, c’est d’inventer un instrument de musique. C’est une histoire vraie. Cette expression : « J’étais neutre, vous n’étiez qu’un jean-foutre » est une expression connue de tous les Vendéens. J’ai trouvé cette histoire sublime car Napoléon, héritier de la Révolution, a dit aux Vendéens « Je vous comprends ». C’est lui qui a utilisé l’expression « Terre de géants ».
G.C. Pensez-vous que la France, qui est fracturée aujourd’hui, pourrait se réconcilier au-delà de toutes ces blessures passées ?
P.d.V. Tout d’abord, ce personnage surnommé le Jean foutre va traverser cinq régimes successifs, la Révolution, le Consulat, l’Empire, la Restauration, le régime de Louis-Philippe. Par un effet de transparence, si vous mettez un papier beurre sur cette époque, on retrouverait la nôtre ; on retrouve les fats, les vaniteux, les anxieux.
J’ai voulu mettre en regard trois langues que je possède en moi depuis l’enfance. La première est la langue paysanne, qui sonne comme un cristal inimitable, un art de vivre, de pleurer, de parler, d’apprivoiser l’ultime avec des gens rudes, simples qui mettent, dans chacun de leur pas et dans chacune de leurs interjections, de la poésie.
En 1984, le prix Nobel de littérature a été accordé à une québécoise qui avait écrit en patois québécois. J’avais dit alors à mon épouse que j’étais capable d’écrire un livre comme celui-ci, en patois francisé. Je rêvais depuis longtemps d’écrire un livre en patois, j’ai donc truffé mon livre d’expressions en patois. La deuxième langue qui fait face à la langue paysanne est celle de la haute société de regrets, de déploration, déclassée, de ceux qui se regroupent dans les salons pour pleurer sur les malheurs du temps, avec cette expression « ce pays n’a plus de mœurs ».
La troisième langue est une langue des préfectures et des élus . C’est une langue où les mots sont ambivalents, où les politiciens se préparent, avec les mots qui conviennent, à couvrir la trahison et lui donner un caractère moral. Comme on change de régime, on voit ce tourbillon des caractères, des belles âmes et des âmes noires. Avec mon roman, on se retrouve dans notre époque où notre société est fracturée.
Tous les Français ont regardé l’enterrement de la reine Élizabeth II. Il y a eu des pics d’audience, pourquoi ? En fait, l’enterrement de la reine a laissé affleurer deux points forts : la famille et le sacré. Les Français se sont intéressés à cette famille, elle-même fracturée, qui rappelle le mot de Bernanos « Une famille c’est comme une nation et une nation c’est comme une famille : un drame moral ». Dans une époque où on est en train de tuer la famille hétérosexuelle, une époque de désaffiliation, les Français se sont dit : « Ils ont de la chance d’avoir une telle famille ». On vit au rythme de nos misères, les malheurs de cette famille qui est au-dessus de nous, nous fédère et nous rassemble.
Deuxièmement, les Français ont soif de légitimité et de sacré. La sacralité de l’incarnation. Macron se rend banal, il pense que c’est mieux pour lui d’être banal, il désacralise tout comme avec Mac Fly et Carlito. Il pense qu’en jouant, les Français vont le prendre au sérieux. Non, les Français veulent du mystère et du sacré.
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G.C. Votre livre est une ode à l’âme paysanne, et aujourd’hui les campagnes semblent être le dernier refuge où l’on retrouve la France détruite par les grandes métropoles. Que pensez-vous de la proposition d’Emmanuel Macron de répartir les migrants dans les campagnes ?
P.d.V. Le dernier qui a déplacé des populations des villes à la campagne, comme cela, c’est Ceausescu. Il a remalaxé son pays. On a vu ce que ça a donné. Macron est un joueur, il joue avec la France comme si c’était un puzzle et il fait le grand remplacement. Zemmour l’a dit, Macron le fait. Cela consiste à installer des colonies d’immigrés dans nos campagnes. Il ne faut pas de jaloux ! Vous aurez votre crack à vous ! Derrière tout cela, il y a un non-dit : c’est fini, le tsunami est là, on est obligé de répartir les vagues de plus en plus fortes. Macron est l’héritier de générations politiques qui, depuis le regroupement familial en 74, ont décidé de faire de l’Hexagone un espace expérimental. En liaison avec le patronat qui veut des immigrés, de nouveaux esclaves payés pas cher et rentables.
La mondialisation est arrivée : soit on fait venir des immigrés qu’on paye pas cher pour maintenir l’emploi, soit on transporte l’usine dans des pays où on peut exploiter des enfants facilement, comme en Inde. Tout cela est un système où on est dans le hors-sol, avec des politiciens qui n’ont plus d’ancrage ; ils font une expérience en ignorant, par leur inculture, ce que disaient Fernand Braudel, Pierre Chaunu, Jacques Dupâquier : l’histoire c’est la démographie. Macron aménage le basculement démographique qu’il croit inéluctable. Il croit que la France a vocation à devenir une terre d’accueil de la planète. Il n’est pas le seul à croire cela, Ursula Von Der Leyen, la mère fouettarde, le croit aussi. On fête le 30e anniversaire de Maastricht qui était une utopie inouïe d’ anéantissement du politique. L’idée était d’abolir les nations pour faire une Europe sans corps, sans racines, sans âme. C’est pour cela que les Italiens ont dit non et ne veulent plus de cette Europe là.
Aujourd’hui, avec la répartition des migrants dans les campagnes et le voile de la fillette sur l’affiche de l’Union européenne, les gens perçoivent l’idée du grand remplacement. J’appelle cela un génocide. Un peuple disparaît parce qu’on le fait disparaître. Ils sont en train de faire disparaître le peuple français qui est un peu comme le peuple romain à la fin. En 399, l’ambassadeur de Cyrène, s’adressant aux élites de Constantinople, dit ceci : « Quand on confie le limes (frontières) aux barbares, quand on n’enseigne plus les lois de Rome, quand on ne transmet plus la pietas et la fides du mos majorum (l’art de vivre à la romaine), quand on cesse de prier les dieux romains et qu’on n’y croit plus, on est tout prêt de mourir ».
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