« Le chant du cygne » : Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, a ainsi qualifié ce lundi (Europe 1) les grandioses funérailles de la reine Elizabeth II en l’abbaye de Westminster, à Londres, à midi, en présence de la plupart des grands de ce monde. De fait, l’impeccable démonstration de puissance donnée par la Grande-Bretagne ces derniers jours ne peut masquer la réalité d’un pays affaibli. La reine, symbole d’une continuité historique apparemment inébranlable, n’a pu qu’assister sous son règne, sans un possible mot d’alerte, à la lente dilution de son pays dans un monde ouvert. Védrine a donc raison de dire que « la Grande-Bretagne n’est plus ce qu’elle était ».
La même chose pourrait évidemment se dire de la France, en pire : aucune personnalité ne pourrait prétendre susciter à sa mort une telle émotion planétaire, une telle dévotion nationale, tant la France s’est vidée de toute transcendance, en perdant son âme millénaire à force de s’oublier. Piètre comparaison : seul Johnny Halliday, décédé en 2017, a su fédérer la part nostalgique d’une France populaire enterrant avec l’artiste les années bénies des trente glorieuses. Avec les adieux à la reine, l’Occident pressent qu’une page se tourne, alors même que les nouvelles puissances (Chine, Russie, Inde , Iran, Pakistan, etc) viennent, vendredi, de consolider leur rapprochement à Samarcande (Ouzbékistan), lors du 22e sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
L’absence de Vladimir Poutine, ce lundi à Londres, n’est pas seulement la mise à l’écart d’un indésirable, coupable d’avoir agressé l’Ukraine. Ceux qui présentent le Russe comme isolé se trompent : Poutine, maladroitement rejeté par un Occident qu’il a fini par détester, a acté le divorce de son pays avec l’Ouest en rejoignant le camp asiatique sous la houlette de Xi Jin Ping. Cette rupture sonne le glas de l’impérialisme occidental, cette parenthèse de cinq siècles. Le chant du cygne n’est pas seulement celui de la splendeur britannique passée; il prend acte de la désoccidentalisation du monde, concurrencé par les puissances jadis méprisées. Pour autant, ce rééquilibrage entre « ceux de Samarcande et ceux Westminster » peut être l’occasion pour le monde libre de démontrer, dans cette concurrence des civilisations qui s’installe, ce qui lui reste de vitalité et de génie pour se protéger des coups de boutoir à venir. Car ce qui s’observe également, à travers la ferveur collective autour d’une souveraine, est l’ardent désir d’un pays à protéger sa mémoire, son héritage, ses traditions.
Plus généralement, l’Europe est parcourue par le réveil des peuples et des nations qui n’entendent pas disparaître, sous l’effet d’élites nihilistes doutant de leurs valeurs. Et si la désoccidentalisation de l’ancien monde annonçait la réoccidentalisation du monde libre ?
Ivan Rioufol
Texte daté du 16 septembre 2022 et repris du blog d’Ivan Rioufol