La fin d’une époque, vraiment ? L’envergure planétaire de l’émotion populaire, constatée après l’annonce jeudi soir de la mort d’Elizabeth II, vient relativiser la désoccidentalisation du monde. Les funérailles de la reine d’Angleterre, décédée après 70 ans de règne, s’annoncent comme un événement mondial. Jamais, d’autre part, la royauté britannique n’a été aussi populaire, puisque 88% des sujets plébiscitent la Couronne. Aussi faut-il relativiser l’analyse reprise en boucle, qui voudrait que la disparition de la « Chef du Commonwealth, défenseur de la foi » signe également la disparition d’une civilisation et de ses traditions historiques. Même Vladimir Poutine, en guerre via l’Ukraine contre l’ « ordre néocolonial » et le « monde unipolaire » des « élites mondialistes occidentales » (discours du 17 août), a immédiatement rendu hommage à la souveraine. Le communiqué du Kremlin écrit : « Pendant de nombreuses décennies, Elizabeth II jouissait à juste titre du respect de ses sujets ainsi que d’une autorité sur la scène mondiale. Les événements les plus importants de l’histoire récente du Royaume-Unis sont inextricablement liés au nom de sa Majesté ».
S’adressant au prince Charles, Poutine ajoute : « Je vous souhaite du courage et de la résilience face à cette perte difficile et irréparable. Je vous prie de transmettre mes paroles de sympathie et de soutien sincères aux membres de la famille royale et à tout le peuple britannique ». L’Occident est certes désormais contesté dans son hégémonie, et Poutine n’est pas en reste dans la grande bascule civilisationnelle appuyée par la Chine, mais son attractivité reste immense.
Pareillement, il serait hâtif de décréter les traditions obsolètes au nom de la modernité, du grand brassage et de la mondialisation remplaciste. Les spécialistes de la monarchie britannique prêtent au futur Charles III le désir l’alléger les rites et la pompe afin de flatter l’époque. Stéphane Bern expliquait ce vendredi sur Europe 1 que Charles serait « un roi sobre ». Je ne suis pas convaincu par cette attente supposément partagée par l’opinion du moment. L’immense mérite d’Elizabeth II a été de n’avoir jamais fait de concessions à la mode, sinon à la marge. Cette antimoderne est restée le point fixe dans une nation ouverte, en maintenant une apparente cohésion nationale que la France peut lui envier.
Alors qu’Emmanuel Macron court après une proximité avec le peuple qu’il n’arrive pas à atteindre, la reine a su s’imposer comme un modèle respecté de tous. Plus que jamais, je suis persuadé que les excès du mondialisme et de ses déracinements brutaux vont pousser les plus vulnérables à revenir aux protections, aux traditions, aux transmissions, aux états souverains. Jamais la réflexion d’Anna Arendt n’a été aussi pertinente, sur « la dégradante obligation d’être de son temps ». Roland Barthes avait écrit sensiblement la même chose en 1979 : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne plus être moderne ». Il est urgent, oui, de devenir réactif ; réactionnaire en somme…
Ivan Rioufol
Texte daté du 9 septembre 2022 et repris du blog d’Ivan Rioufol