C’était un sujet phare des discussions de la loi de bioéthique : la levée de l’anonymat du don de gamètes devient une réalité à compter du 1er septembre. Désormais les enfants issus de dons pourront retrouver leurs parents biologiques et avoir ainsi accès à leurs origines.
Des situations qui ne font pas le bonheur de tous, à en croire un certain Pierre Joubert, donneur de sperme, père de 12 enfants en 1980 et qui s’est confié dans les colonnes du Figaro : « un geste de générosité dont je me serais abstenu s’il j’avais réfléchi ». Pour comprendre les enjeux de cette autre « évolution sociétale », Boulevard Voltaire a interrogé Aude Mirkovic de l’association Juristes pour l’enfance.
Sabine de Villeroché : En quoi consiste cette levée de l’anonymat des donneurs de gamète ?
Aude Mirkovic : La levée de l’anonymat a pour but de permettre aux personnes conçues par procréation médicalement assistée avec recours à un tiers donneur de pouvoir, à leur majorité, connaître l’identité du ou des donneurs et d’accéder à des données non identifiantes (âge du donneur au moment du don, son état général au moment du don, ses caractéristiques physiques, sa situation familiale et professionnelle, son pays de naissance, ainsi que les motivations de son don). Cette mesure entre en vigueur à compter du 1er septembre 2022, mais son effectivité n’est en réalité pas garantie et plusieurs situations vont coexister.
Les personnes conçues avant cette date ne pourront accéder aux informations prévues par la loi que si le donneur, contacté par la commission d’accès aux origines, accepte de communiquer son identité et/ou ses données non identifiantes. Cela implique : que le dossier ait été correctement conservé et que le donneur puisse être identifié par la commission ; que ses coordonnées au moment de la demande puissent être retrouvées ; qu’il soit toujours en vie ; qu’il soit en capacité de consentir ; et enfin qu’il accepte que les informations puissent être communiquées à la personne issue de son don. Cela fait beaucoup de conditions et un certain nombre de demandes n’aboutiront sans doute pas.
Pour les personnes conçues après le 1er septembre 2022, elles ne sauront qu’à leur majorité si elles pourront effectivement exercer l’accès à l’identité et aux données non identifiantes du donneur. En effet, compte-tenu de la pénurie de gamètes, les stocks de gamètes existants vont continuer à être utilisés (sauf opposition du donneur). Les enfants conçus par recours à tiers donneur à partir du 1er septembre 2022 le seront, soit avec des gamètes provenant du stock ancien c’est-à-dire de donneurs n’ayant pas préalablement consenti à la transmission de leur identité, soit avec des gamètes provenant de personnes ayant fait un don après le 1er septembre 2022 et qui doivent désormais, pour fournir leurs gamètes, accepter la communication de leur identité et des autres données. Ni les enfants ainsi conçus ni leurs parents légaux ne sauront de quel stock proviennent les gamètes utilisés. Ils le découvriront lorsqu’à leur majorité, ils feront la demande pour connaître l’identité de leur donneur. En conséquence, selon la provenance des gamètes utilisés, ils auront ou pas accès aux informations prévues par la loi.
S.d.V. : Est-ce malgré tout une bonne nouvelle pour ces personnes qui pourront désormais connaître leurs parents biologiques ?
A.M. : La levée de l’anonymat et l’accès aux données non identifiantes constituaient des demandes fréquentes des personnes issues du don. Mais si l’on pense que ces nouvelles dispositions seront le coup de baguette magique qui va résoudre les difficultés posées par la PMA avec tiers-donneur, on se trompe.
En ce qui concerne l’accès aux données non identifiantes, c’est surtout l’état de santé du donneur qui importe aux personnes qui en sont issues. En effet, un certain nombre d’entre elles rencontrent des difficultés dans leur suivi médical car elles ne connaissent pas leurs antécédents médicaux familiaux et ne peuvent pas répondre aux questions fréquemment posées : « y-a-t-il du diabète, des cancers, de troubles cardiaques etc… dans votre famille » ? L’accès aux données non identifiantes ne permettra que partiellement de résoudre cette problématique : les données comprennent des informations sur l’état de santé du donneur mais au moment du don seulement. Il peut avoir développé par la suite une maladie génétique sans en informer l’organisme qui conserve les données. En outre, les informations ne sont communiquées qu’à la majorité. Or, l’enfant pourrait, pour son suivi médical, avoir besoin durant sa minorité des informations relatives au donneur.
Quant à la levée de l’anonymat, elle reste interdite à l’enfant durant les années cruciales de la construction de son identité, puisque la demande ne peut être formulée qu’à compter de la majorité. Les enfants continueront donc, jusqu’à leurs 18 ans, à s’interroger sur l’identité de celui et/ou celle qui a fourni les gamètes pour sa conception. A leur majorité, lorsqu’ils pourront connaître cette identité, il est certain que tout ne sera pas rose. Puisque tout un chacun peut être donneur de gamètes, l’identité de ce géniteur ou de cette génitrice soudainement révélé pourra entraîner des déceptions, voire même de grandes difficultés.
Par ailleurs, la levée de l’anonymat ne changera rien au fait de l’éclatement de la paternité ou de la maternité entre le parent biologique et le parent légal, et les difficultés de construction identitaire en découlant pour l’enfant ainsi conçu.
En ce qui concerne les jeunes conçus de PMA avec donneur réalisées au profit de couples homme/femme, qui ont donc un père légal, comment la perspective de connaître l’identité du donneur pourrait-elle ne pas interférer dans la relation avec ce père légal ? Il est aisé de prévoir pour ces enfants un conflit de loyauté inextricable entre le père qui les élève et le géniteur qu’ils pourront connaitre à leur majorité.
En ce qui concerne les enfants conçus au profit de femmes seules – et l’on sait qu’elles sont aujourd’hui majoritaires dans les demandes de PMA – ou de couples de femmes, la connaissance de l’identité du donneur ne réparera pas le fait de ne pas avoir eu de père. L’accès à l’identité du donneur ne remédiera pas à l’interdiction légale de pouvoir faire établir leur filiation paternelle s’ils le souhaitent, et de pouvoir s’inscrire dans leur double généalogie, paternelle et maternelle.
Les personnes issues de donneur qui voudront faire établir leur filiation biologique continueront à se heurter à un refus, alors même que « leur » donneur le souhaiterait également.
En bref, la levée de l’anonymat répondra sans doute à certaines questions et apaisera certaines souffrances, mais elle provoquera bien d’autres difficultés, souffrances et déceptions.
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