Après 9 ans de présence, l’armée française a quitté le Mali sans que les problèmes structurels du pays et les causes du terrorisme ne soient réglés. La France et les Occidentaux ont commis, dès le début de l’intervention, une série d’erreurs qui ont conduit à l’imbroglio actuel.
Analyse de Bernard Lugan parue sur son site L’Afrique réelle.
Au Sahel, la situation semble être désormais hors contrôle. Exigé par les actuels dirigeants maliens à la suite des multiples maladresses parisiennes[1], le retrait français a laissé le champ libre aux GAT (Groupes armés terroristes), leur offrant même une base d’action pour déstabiliser le Niger, le Burkina Faso et les pays voisins. Le bilan politique d’une décennie d’implication française est donc catastrophique.
Un désastre qui s’explique par une erreur originelle de diagnostic. La polarisation sur le jihadisme fut en effet l’alibi servant à masquer la méconnaissance des décideurs français, doublée de leur incompréhension de la situation, le jihadisme étant d’abord ici la surinfection de plaies ethniques séculaires et même parfois millénaires.
Cesser de voir la question du Sahel à travers le prisme de nos idéologies européo-démocratico-centrées et de nos automatismes, est désormais une impérieuse nécessité. Replacer les évènements actuels dans leur contexte historique régional est donc la première urgence puisqu’ils sont liés à un passé toujours prégnant conditionnant largement les choix et les engagements des-uns et des autre[2].
Je l’ai déjà maintes fois écrit, mais il importe de le redire, quatre principales erreurs expliquant l’actuelle dégradation de la situation sécuritaire régionale ont été commises par les décideurs politiques français :
Erreur n°1
Avoir « essentialisé » la question en qualifiant systématiquement de jihadiste tout bandit armé ou même tout porteur d’arme.
Erreur n°2
Avoir pris pour « argent comptant » la cuistrerie des « experts » qui leur ont fait croire que ceux qu’ils qualifiaient de jihadistes étaient mus par la volonté de combattre l’islam local « déviant ». Or, dans la plupart des cas, nous étions en présence de trafiquants se revendiquant du jihadisme afin de brouiller les pistes ; parce qu’il est plus valorisant de prétendre combattre pour la plus grande gloire du Prophète que pour des cartouches de cigarettes ou des cargaisons de cocaïne. D’où la jonction entre trafic et religion, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par l’islamisme.
Erreur n°3
Avoir refusé de voir que nous étions face à l’engerbage de revendications ethniques, sociales, mafieuses et politiques, opportunément habillées du voile religieux. Selon Rikke Haugegaard (2018) « La charia « business du désert ». Comprendre les liens entre les réseaux criminels et le djihadisme dans le nord du Mali. », En ligne, nous serions ainsi en présence de tout cela à la fois, avec des degrés différents d’importance de chaque point selon les moments :
« Les actions des groupes jihadistes sont guidées par une combinaison de facteurs, allant des luttes de pouvoir au niveau local aux conflits claniques internes, en passant par la poursuite d’intérêts économiques associés au commerce de contrebande ».
Dans son rapport du 12 juin 2018, Crisis Group écrivait :
« (…) la frontière entre le combattant jihadiste, le bandit armé et celui qui prend les armes pour défendre sa communauté est floue. Faire l’économie de cette distinction revient à ranger dans la catégorie « jihadiste » un vivier d’hommes en armes qui gagnerait au contraire à être traité différemment » Crisis Group., (2018) « Frontière Niger-Mali : mettre l’outil militaire au service d’une approche politique ». Rapport Afrique n°261,12 juin 2018.
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