Grand reporter et ancien directeur adjoint de Paris Match, Régis Le Sommier publie La Vérité du terrain. Le récit des nombreux conflits qu’il a couverts révèle aussi les changements d’une profession dominée aujourd’hui par l’émotion, la caricature et le manque d’analyse. Propos recueillis par Alexis Brunet.
Pourquoi avoir dédié votre livre au reportage de guerre ?
Si je n’ai pas couvert que des guerres, j’y ai passé beaucoup de temps pour Paris Match. En 2003, je ne pouvais plus continuer à écrire des textes sur l’Irak, à aller voir des blessés, des parents en peine sans assister par moi-même au choc des civilisations. Cette phrase de Samuel Huntington s’est vérifiée dans les faits et la guerre en Irak en a été la preuve. J’ai vu à quel point ça s’est mal passé pour les Américains quand ils ont envahi le monde arabo-musulman. Les autres guerres qui s’ensuivent, et dont je traite, sont des soubresauts de ce péché originel qu’est la guerre en Irak. Comme l’a dit le diplomate libanais Ghassan Salamé, c’est lors de la guerre en Irak que les Américains inaugurent la dérégulation de la force. En décidant d’envahir un pays sous des prétextes mensongers, avec des intentions déguisées, les États-Unis ont ouvert la boîte de Pandore. À partir du moment où la puissance censée être la plus morale se comporte comme un État voyou, il est logique que les autres agissent selon leurs intérêts. Ce qui a notamment ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie aujourd’hui.
Vous évoquez la guerre lancée par la Russie le 24 février dernier. Mais quid du conflit de 2014 dans le Donbass ? Nous l’avons vite oublié… A-t-il été négligé par les médias ?
Après la guerre de 2014, les médias étaient focalisés sur la guerre en Syrie. J’étais alors directeur adjoint de Paris Match. Une reporter avait couvert la guerre au Donbass. Quand elle m’a dit qu’il faudrait y retourner, je dois confesser que je n’y croyais pas trop. Moi-même, j’ai découvert le chiffre de 13 000 morts récemment. Ensuite, le conflit en Ukraine a continué et la crispation de la Russie vis-à-vis de l’OTAN aussi. Or, cette question des relations entre la Russie et l’OTAN a été négligée, non seulement par les journalistes, mais aussi par les dirigeants.
Depuis vos débuts, le journalisme a profondément changé. Vous semblez inquiet pour l’avenir de la profession…
Tout à fait ! La couverture de l’Ukraine est obscurcie par ce que j’appelle le brouillard de la guerre. C’est vrai dans toutes les guerres mais là, il est particulièrement épais. Prenez, par exemple, la présence des canons Caesar français en Ukraine. Pendant la bataille de Mossoul, les canons Caesar de 155 millimètres étaient épaulés dans l’ajustement des tirs par des membres des forces spéciales françaises. Je les avais personnellement rencontrés. Puisque ces canons ont été livrés à l’Ukraine ou vont l’être, cela signifie-t-il qu’il y a des soldats français sur le terrain en Ukraine actuellement, ou bien les artilleurs ukrainiens ont-ils été formés à leur usage ? Pourquoi les Irakiens n’avaient-ils pas reçu à l’époque cette formation ? Étaient-ils plus idiots que les Ukrainiens ? Ces questions ne sont pas anodines, pourtant personne n’ose les poser.
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