Les présidentielles de 2022 font… trois déçus : la gauche, les macronistes et la droite nationale. Il faut ajouter une autre déçue, la France patriote, qui va devoir composer avec un président de la République destructeur durant cinq ans de plus. Mais les apparences sont en partie trompeuses.
Battue dès le premier tour, l’extrême gauche peine à digérer la défaite. Une partie de nos grands donneurs de leçons républicaines a manifesté, dès dimanche soir, son attachement à la légitimité démocratique en défilant et cassant dans plusieurs grandes villes contre les résultats du scrutin, non sans agresser violemment les forces de l’ordre… Organisée par l’extrême droite, une telle manifestation, fondamentalement antidémocratique, aurait donné lieu à des condamnations médiatiques unanimes et outrées. Mais c’est l’extrême gauche, alors…
La droite nationale est elle aussi battue au second tour, moins que l’extrême gauche éliminée dès le premier. Mais la droite l’accepte et ne conteste rien alors que le déséquilibre médiatique et les petites ou grandes entorses aux règles de la réserve durant les heures qui précèdent le scrutin donneraient bien des prétextes. Sans doute parce que le match Macron-Le Pen est en réalité moins déséquilibré que ce que les partisans d’Emmanuel Macron auraient souhaité. Car Le Pen progresse en nombre de voix (de 10,6 millions de voix en 2017 à 13,3 millions de voix en 2022). C’est 2,7 millions de voix supplémentaires, un record pour la candidate. De son côté, Macron a perdu des plumes entre les deuxièmes tours de 2017 et de 2022 : il a égaré précisément 1,9 million de voix. Une érosion maîtrisée pour un Président resté cinq ans aux affaires sans cohabitation, mais une fragilisation évidente de son potentiel électoral.
Résultat, dix millions de voix séparaient Marine Le Pen d’Emmanuel Macron au deuxième tour des présidentielles de 2017 : cet écart s’est réduit, en 2022, à 5,5 millions de voix. Marine Le Pen se rapproche de la barre fatidique. Si l’on observe les pourcentages, la diminution des écarts est également spectaculaire. En 2002, le score de Jean-Marie Le Pen face à Chirac affichait 64 points d’écart (82 % contre 18 %). Cet écart a fondu de moitié, en 2017, à 32 points (66 % Macron contre 34 % Le Pen) et il a encore diminué de moitié, en 2022, avec 17 points d’écart seulement. En somme, toutes les institutions, partis politiques, célébrités, journaux, etc., appellent toujours à faire barrage contre le RN mais l’efficacité de la chanson du barrage contre l’Atlantique a fondu comme neige au soleil. En vingt ans, le fameux front dit républicain est passé de 80,2 % au deuxième tour des présidentielles de 2002 à 58,2 % hier : il a perdu précisément 22 points ! Pas un franc succès ni de quoi déboucher le champagne dans les cercles d’influence. Ce qui explique le triomphe relativement mesuré d’Emmanuel Macron, dimanche soir, au Champs-de-Mars à Paris.
Reste le fameux plafond de verre, mais est-il un obstacle définitif pour Marine Le Pen ? L’analyse des résultats locaux montre que non. Si les grandes villes sont toujours très hostiles au vote Le Pen (85,1 % à Paris en faveur de Macron, 79,80 % à Lyon, 59,80 % à Marseille, Nantes 81,15 %, Bordeaux 80 %), le reste de la France et les petites villes lui sont bien plus ouvertes. Ainsi, 28 départements ont placé Marine Le Pen en tête au deuxième tour, contre deux seulement en 2017. L’outre-mer, le pourtour méditerranéen, la Corse, les Hauts-de-France et le Grand Est ont souvent installé la candidate du RN en tête.
Des résultats qui vont donner des sueurs froides aux grands appareils concurrents. Surtout si Macron met en place un mode de scrutin à la proportionnelle pour les élections législatives. L’occasion, peut-être, si le RN sait nouer de larges alliances à droite avec Éric Zemmour ou Nicolas Dupont-Aignan, de créer un groupe patriote à l’Assemblée nationale. Du jamais-vu depuis les 35 députés du Front national (dont trois apparentés) élus, en 1986, autour d’un certain Jean-Marie Le Pen.
Marc Baudriller
Tribune reprise de Boulevard Voltaire