Il est près de 19 heures, ce dimanche soir 10 avril, lorsqu’une voiture banalisée sort du périphérique parisien par la porte de Vincennes. À ses trousses, une vingtaine de motos à deux passagers hérissés de perches et de caméras. Marine Le Pen se dirige vers le parc floral où elle a organisé sa soirée électorale.
Lors de ces soirées, il y a des ambiances de veille de défaite. À une heure des résultats, ce n’est pas le cas, ce soir, sous le dôme qui bruisse de conversations. Présente parmi les convives, la sœur de Marine Le Pen, Marie-Caroline, se défend de tout pronostic : « Je ne pense rien, mais Macron ne devrait pas sortir très bien, ou alors c’est désespérant », confie-t-elle à Boulevard Voltaire. Un militant glisse à quelques journalistes assemblés autour de lui : « Je suis vraiment très confiant. » Une candidate locale des Yvelines assure que des militants LR sont venus spontanément lui proposer leurs services pour le deuxième tour. « Ce que j’ai le plus entendu, c’est le tout sauf Macron », dit-elle.
Un vaste écran surmonte la scène sur laquelle Marine Le Pen viendra prononcer son discours. Divisé en quatre, il diffuse quatre chaînes. En face, une estrade où s’entassent des dizaines de journalistes. Au fond, des buffets généreux.
Il est 19 h 55. Un mouvement de foule emporte vers le grand écran, ensemble comme un flot impérieux, les militants munis de drapeaux et les journalistes reconnaissables à leur étiquette presse et à leurs calepins ou caméras. À l’écran, Anne-Claire Coudray, sur TF1, promet le résultat dans deux minutes, puis une minute. Une « Marseillaise » retentit, chantée à gorge déployée, suivie de slogans : « On va gagner ! » Enfin, la salle entonne le décompte des secondes : 10, 9, 8, 7… Une clameur de joie accompagne le résultat. Marine Le Pen affrontera Emmanuel Macron au second tour des élections présidentielles de 2022. On s’embrasse, on se congratule. On entend une jeune militante confier à deux amis : « C’est la plus belle soirée de ma vie. »
Désormais, ces militants sont assaillis par les journalistes. Valérie Pécresse, que le camp Zemmour avait surnommée Madame 20 h 02 parce qu’il prévoyait qu’elle appellerait à voter pour le président de la République deux minutes après les résultats, se fait huer lorsqu’elle invite en effet ses électeurs à choisir le camp Macron. Lorsque Bardella lui succède à l’écran, il reçoit au contraire une ovation nourrie. Les « On va gagner » et « Marine Présidente reprennent de plus belle ». Un jeune militant du Nord explique : « Ça fait du bien, dit-il. On s’est défoncés, on a tracté, on a fait des marchés, on a tout fait. » Il rend hommage à la candidate. Il y croit. Une salve d’applaudissements accueille Éric Ciotti qui explique qu’à titre personnel, il ne votera pas pour Emmanuel Macron. Même traitement de faveur pour Marion Maréchal qui appelle à voter Le Pen. Le président de la République est hué, comme Valérie Pécresse. Il est 20 h 30. « Macron a pris les voix de Pécresse, explique un militant. Il nous reste quinze jours de campagne pour parler du bilan, des affaires, de McKinsey, des conflits d’intérêts. Marine Le Pen a de l’expérience. » La candidate va faire appel à tous ceux qui n’ont pas voté Macron.
Soudain, une bousculade manque de faire tomber les militants et les journalistes : Marine Le Pen, entourée de gardes du corps, quitte la salle en serrant des mains et en embrassant des connaissances.
Discret, le conseiller spécial de Marine Le Pen, Philippe Olivier, explique à Boulevard Voltaire que ce ne sera pas simple, pour Macron : « Cela se passe comme nous l’avions prévu. Les retraites vont servir d’épouvantail, explique-t-il. Et le camp national part avec un capital de 35 % des voix au premier tour : c’est considérable. » Il additionne les voix de Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan et Jean Lassalle. Et doute de l’efficacité du report des voix de Mélenchon. « Un électeur de gauche radicale ne votera pas pour Macron : il y a une porosité avec nous, certains sont passés dans notre camp avant de basculer chez Mélenchon, ils vont revenir. » Enfin, il sent le camp Macron « fébrile » et voit aboutir sa stratégie de long terme du peuple contre les élites.
Il est près de 21 heures, Zemmour apparaît à l’écran et appelle à voter Le Pen sous une salve d’applaudissements.
À l’autre bout de la salle, Jean-Lin Lacapelle, député européen RN, souligne que la présence de Zemmour dans la course prive Le Pen d’une pole position au premier tour et montre à quel point le clivage patriotes contre mondialistes a broyé la candidate LR. Il voit en faveur de Marine un projet plein d’espoir, une candidate crédible et proche du peuple, apte à résister à l’entreprise de diabolisation qui va repartir comme jamais. Résistera-t-elle, lui demande-t-on ? Il répond par une question : « Résistera-t-il ? » Le Président est, pour lui aussi, « très fébrile, très agressif, à la limite de l’insulte, il n’est pas prêt ».
De son côté, Le Pen va marteler ses thèmes : le pouvoir d’achat, le social, l’identité, le régalien.
La bataille pour la France n’est pas finie. Il reste quinze jours de campagne pour battre Emmanuel Macron qui a fait tant de mal. L’essentiel des militants est parti lorsque les chaînes d’information commencent à évoquer l’éventualité d’une qualification de Mélenchon au deuxième tour aux dépens de Marine Le Pen…
Marc Baudriller
Tribune reprise de Boulevard Voltaire