De la Russie, de l’Ukraine et des élections…
Jean-Marie Le Pen a reçu Présent au terme d’une journée passée à répondre à des journalistes, de presse ou de télévision. Mais il est dans une grande forme, prêt à commenter l’actualité.
— Quel est votre avis sur l’actuelle guerre en Ukraine ?
— La situation est assez dangereuse, car elle conduit les pays occidentaux à entrer en voie conflictuelle avec la Russie, qu’ils devraient au contraire considérer comme un allié et un membre de ce que j’appelle « le bloc boréal », constitué des pays de l’ouest de l’Europe et de la Russie – le plus grand pays du monde, avec seulement 144 millions d’habitants, hélas !
— Qui a intérêt à pousser au conflit ?
— Je pense que ce sont les Américains. Ils se méfient de la constitution possible d’une « entente boréale », justement. On ne les voit pas, mais on les sent très présents dans toutes les actions qui sont menées par les opposants à la Russie. L’incontinence verbale de Biden est très grave. La course au réarmement augmente les risques, dans une situation internationale déjà inquiétante.
— Le rôle que joue Biden n’est-il pas dangereux ?
— C’est un pitre !
— Pensez-vous que les médias, en France, donnent une information objective ?
— Non. En tous les cas les médias que je regarde, comme la plupart de mes compatriotes, qui sont les médias télévisuels, en particulier les chaînes d’information continue. Leur partialité est absolument éclatante. Il n’y a pas le moindre souci d’objectivité.
— Comment expliquez-vous que la guerre au Donbass (plus de 15 000 morts depuis 2014) n’ait jamais fait parler d’elle ?
— Jamais. C’est un exemple, parce que tout est présenté comme si la Russie avait décidé, il y a quelques semaines, de faire la guerre à l’Ukraine, alors qu’en fait cette guerre en Ukraine dure déjà depuis des années, et que les deux républiques de Lougansk et de Donetsk sont elles-mêmes attaquées. Je suis frappé par le fait, qui est étonnant du point de vue polémologique, que la Russie n’obtienne pas de succès plus décisifs. A mon avis, elle fait ce qu’il faut pour tuer le moins de civils possible, puisqu’elle considère – je crois que c’est vrai – que c’est une nation sœur. Le fait qu’on ne prenne pas la ville de Marioupol prouve dans l’action militaire une retenue qui n’est pas celle de leur faiblesse, mais celle de leur détermination de faire le moins de dégâts possible, ce qui n’est pas simple quand on fait la guerre.
— Vous souvenez-vous de la phrase de François Brigneau, qui précisait que s’il n’était pas anticommuniste depuis 1917, c’était parce qu’il était né en 1919 ? Avec un écart de dix ans, on peut dire la même chose de vous. Vous avez désormais une position vis-à-vis de la Russie que vous n’aviez pas vis-à-vis de l’URSS ?
— Bien sûr ! Mon opposition à la Russie soviétique, c’est qu’elle était soviétique. Mais je ne suis pas, et loin de là, un ennemi de la Russie, un russophobe. Je serais même plutôt russophile. En revanche, durant la guerre froide, j’avais une position atlantiste que je n’ai plus. Les équilibres ont changé. N’oublions pas non plus que nous sommes menacés par la déferlante démographique mondiale. C’est une folie que de risquer de pousser la Russie à se rapprocher de la Chine.
— Nous ne dépendrons plus du gaz russe, mais désormais du gaz américain. Qu’y gagnons-nous ?
— D’autant qu’il est loin, le gaz américain ! Il n’est pas encore extrait. Tout ça me paraît fallacieux. Je considère que les conséquences économiques qui sont liées à cette situation sont tout à fait anormales, et risquent d’être ruineuses pour nos pays européens. Ce qui est extraordinaire, c’est de voir l’unanimité des pays européens quand il s’agit de faire des sottises…
— Le sentiment antirusse n’envahit-il pas la France, actuellement ?
— Cela, c’est sous l’impulsion du lobby américain. La France a toujours été assez russophile. La logique devrait contribuer, j’y reviens, à la création du bloc boréal.
— Actuellement, on s’en éloigne…
— On s’en écarte. Mais ce n’est pas ressenti par le peuple français, je ne crois pas.
— Comment considérez-vous l’attitude du président Macron dans cette affaire ?
— Vous connaissez la formule « Ces faits nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. » C’est le cas de Macron. Il fait semblant d’être un décideur, alors qu’en fait il est un suiveur.
— Le président Macron arrive au bout de son premier quinquennat. Quel en est à vos yeux le bilan ?
— C’est un bilan fort médiocre, compte tenu des atouts qui étaient les siens : une majorité solide, un pouvoir récent. Il n’a pas su en profiter.
Je crois qu’il va être battu. Il va y avoir un phénomène moins pro-Marine qu’anti-Macron. Certains voteront pour faire battre Macron. Marine a fait une campagne plus modérée, laissant à Zemmour le soin de rompre les lances et d’attirer sur lui les foudres de la diabolisation.
Personnellement, j’ai trouvé que le message de Zemmour était tout à fait acceptable, mais certainement sa forme a écarté de lui un certain nombre d’électeurs. Il n’a rien dit de très extraordinaire. Il faut dire qu’il n’a pas le gabarit présidentiel, même s’il a beaucoup progressé. Mais on va s’apercevoir que le fait de tenir des meetings fabuleux ne fait pas un courant politique. On peut avoir de la sympathie pour plusieurs candidats et avoir fait son choix de vote. Je peux avoir de la sympathie pour Zemmour et pour Marine Le Pen, mais moi je vote Marine Le Pen. Seulement, il faut surtout ne rien faire, ne rien dire contre Zemmour, qui soit de nature à créer une hostilité au deuxième tour, c’est l’évidence.
— Quels commentaires sur les événements en Corse ?
— Les indépendantistes, disent-ils, appartiennent à la Corse, mais la Corse n’appartient pas aux indépendantistes. Comme la Bretagne ou la Provence, elle appartient à la France. Il y aura toujours des gens pour s’appuyer sur les particularismes pour essayer de fonder une force centrifuge. Je n’ai pas d’inquiétude sur le loyalisme des Corses à l’égard de la France.
— Auriez-vous imaginé une dérive « sociétale », pour employer un mot à la mode, aussi importante (wokisme, cancel culture, PMA pour toutes, théorie du genre etc.) ?
— Tout cela reste très superficiel, et ne touche pas profondément le peuple français. Cela reste l’écume… Pour moi, c’est un phénomène artificiel et sans importance réelle sur l’évolution sociologique. Cela ne mord que sur la rive gauche – et encore, pas toute.
Propos recueillis par Anne Le Pape
Article paru dans Présent daté du 7 avril 2022