Bruno Mégret, polytechnicien et haut fonctionnaire, est ancien député et député européen. Venu du RPR, numéro deux du Front national puis président du MNR, il a été au premier plan des débats publics. Aujourd’hui en retrait de la vie politique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, récemment, Le Temps du phénix (Ed. Cité Liberté).
— Pour Polémia, vous avez développé, à propos de la crise ukrainienne, une vision assez pessimiste, aussi bien pour les Russes et les Ukrainiens que pour les Européens. Dans cette confrontation, où de nombreux pays tendent à s’impliquer, à qui profite le crime ?
— Le crime ne profitera sans doute pas principalement à la Russie. Celle-ci se trouve en effet durablement diabolisée et marginalisée et subit des sanctions qui vont durement pénaliser son économie. Il n’est donc pas certain que les avantages que Poutine compte tirer de l’occupation de l’Ukraine compensent les inconvénients qui en résulteront pour la Russie. Cette guerre ne va pas non plus servir l’Europe, laquelle s’est révélée impuissante à l’empêcher par la voie diplomatique. De plus, les sanctions économiques majeures prises dans l’urgence à l’encontre de la Russie risquent par contrecoup d’affaiblir notre économie et d’obérer encore davantage le pouvoir d’achat des Français.
En revanche, les Américains vont quant à eux bénéficier des retombées géopolitiques de cette guerre. Leur ennemi russe est diabolisé, rejeté et isolé, du moins dans le monde occidental. Le fossé qui s’est creusé entre la Russie et l’Europe va empêcher durablement la constitution d’un pôle de puissance européen de l’Atlantique à l’Oural dont les Etats-Unis ne veulent à aucun prix. Enfin, cette guerre renforce l’Otan, l’organisation qui assure la domination américaine sur l’Europe. Laquelle apparaît de nouveau aux yeux de nombreux pays européens comme indispensable à leur sécurité.
On comprend mieux dès lors pourquoi les Etats-Unis ont refusé toute concession à Poutine tout en annonçant qu’ils n’enverraient pas un seul soldat américain défendre l’Ukraine, poussant ainsi les Russes à commettre l’irréparable, un peu comme ils avaient poussé Saddam Hussein à envahir le Koweït pour déclencher la première guerre d’Irak. Ajoutons bien sûr que, dans cette tragédie, c’est l’Ukraine, dont les dirigeants n’ont pas eu la sagesse d’adopter pour leur pays un statut de neutralité, qui va payer en morts, en blessés et en destructions le prix fort de cette guerre.
— Vous semblez penser que l’Europe risque d’être affaiblie par ce conflit. Mais l’U.E. n‘a-t-elle pas trouvé enfin une cause et surtout un ennemi, susceptible de relancer la dynamique européenne, comme la menace soviétique avait facilité sa construction ?
— La menace soviétique avait surtout facilité la mise sous tutelle américaine de l’Europe, conduisant alors quelque 350 millions d’Européens à faire appel à 230 millions d’Américains pour les protéger contre 270 millions de soviétiques. Mais, à l’époque actuelle, faut-il considérer la Russie comme un ennemi ? Alors que notre monde est devenu multipolaire et que résonne le choc des civilisations, la Russie ne procède-t-elle pas comme nous de la civilisation européenne et chrétienne ? Et l’ennemi ne se situe-t-il pas plutôt dans le monde arabo-musulman où certains cherchent à imposer sur notre sol leur propre civilisation en lieu et place de la nôtre ?
— Vous craignez qu’il en découle un renforcement de l’Otan. Mais ne vivons-nous pas au contraire les balbutiements d’une vraie Europe de la Défense, Allemagne comprise (ce qui, pour le coup, serait une première) ?
— On assiste, il est vrai, à une prise de conscience de la réalité des rapports de force dans les relations internationales, ce qui conduit certains pays d’Europe à vouloir augmenter leurs dépenses militaires. On ne peut que s’en réjouir, mais, que je sache, tous ces pays n’envisagent cet effort que dans le cadre de l’Otan, ce qui conduira bien à un renforcement de cette organisation entièrement dominée par les Américains et non à la création d’une puissance militaire européenne indépendante. D’ailleurs, quels avions les Allemands ou les Polonais achèteront-ils ? Le Rafale français ou son équivalent américain ? On connaît déjà la réponse !
Propos recueillis par Francis Bergeron
Article paru dans Présent daté du 16 mars 2022