La Nouvelle Librairie vient de publier le premier volume des Carnets rebelles de Dominique Venner. C’est peu dire que ces milliers de feuillets, recouverts d’une écriture aussi précise que dense, étaient attendus. Ceux qui en connaissaient l’existence piaffaient d’impatience. Comme toujours en pareille circonstance, la clandestinité d’un tel trésor l’avait peu à peu élevé au rang de mythe. Disons-le sans attendre : ce premier volume ne décevra pas. En un peu plus de 400 pages, il permet de retrouver le Venner public : l’écrivain, le veneur, l’historien méditatif, mais aussi le jeune soldat aux joues creuses, le militant incandescent.
Surtout, il dévoile beaucoup de l’univers intérieur d’un être rigoureusement fidèle à son idéal de jeunesse – d’enfance, pourrait-on même écrire –, mais beaucoup plus riche et complexe que ne pourrait le suggérer la statue du commandeur un peu grossière qui en a été taillée après sa mort volontaire. Venner n’est pas réductible à la figure du junker prussien qui lui était pourtant chère. Ni même à celle de l’historien distancié, patron de l’exemplaire Nouvelle Revue d’histoire. L’âme rebelle, celle du révolutionnaire conservateur, de l’anti-bourgeois viscéral, éclate au grand jour dans ces trois premiers carnets. Encore ne balaient-ils qu’une petite partie de sa vie. Une trentaine d’autres attendent patiemment leur publication. Souhaitons à François Bousquet de travailler vite à ce grand œuvre, qui marquera durablement de son empreinte l’aventure éditoriale de La Nouvelle Librairie.
Un étonnant bénédictin
Mesure-t-on la quantité de travail abattue par Dominique Venner en cinquante années d’engagement, visible ou replié ? Cet incontestable païen avait fait sienne la vie et la persévérance minutieuse des vieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur. Chacun de ses livres était le fruit de milliers d’heures appliquées, de polissage patient, que seule permettait une ascèse rigoureuse. Comment ne pas nous résoudre à un examen de conscience, en parcourant ces pages incandescentes qui, partout, montrent le sérieux dans l’action ? Que faisons-nous du temps qui nous est donné ? Comment rendrons-nous compte de ces heures perdues dans le tourbillon du futile, les mille sollicitations de la société du spectacle ? Tirons les leçons de cette éthique du quotidien qu’il maintint jusqu’à sa mort, de cet incessant travail de fortification de nos positions qu’il poursuivit, alors que son ami de toujours, « Fabrice », privilégiait les assauts adroits sur les positions de l’adversaire. Ecoutons ledit « Fabrice », que nous connaissons mieux sous son nom véritable : Alain de Benoist. Il connut Dominique Venner dans les tourments du militantisme le plus radical : « Dès le départ, il nous avait conquis par sa façon d’être, de parler, de se tenir, par la précision de ses analyses, le caractère réfléchi de ses consignes, l’inaltérable fermeté de ses convictions. » Idées courtes et instincts justes, résuma Venner lui-même.
Une vie tracée à la ligne claire
Alain de Benoist rend un bel hommage à son ancien camarade de combat lorsqu’il souligne en lui, dans sa longue préface, la permanence d’une « ligne claire ». Une vie droite comme la lame de ces poignards qu’il affectionnait tant. De là l’image qu’il put laisser ici et là d’un homme dur, inaccessible, marmoréen. « Il était pour ceux qui s’efforçaient de voler haut, contre ceux qui rampaient bas. » Les confuses catégories du jeu politique lui semblaient peu de chose face à la rigueur des catégories morales. Ce que résume ainsi Alain de Benoist : « Il préférait ceux qui donnent des exemples à ceux qui donnent des leçons ». Que penserait-il aujourd’hui des tristes invertébrés qui s’apprêtent à remonter une nouvelle fois sur scène le temps de la foire présidentielle ? Venner avait définitivement refermé la page de l’engagement politique en 1967, après une cuisante déroute électorale. Il s’était replié sur le terrain de la métapolitique, son travail d’historien méditatif ayant vocation à galvaniser les volontés, nourrir les imaginaires, balayer les défaitismes. Il fut un adepte du « recours aux forêts » cher à Jünger, tout en se défiant de la tentation de la tour d’ivoire, du repli entre les quatre murs d’une bibliothèque. Son dernier geste lui-même témoigne de la fièvre qui ne l’avait jamais quitté : celle du sursaut européen. Contre les capitulards qui devant l’ampleur de la tâche avaient renoncé, il avait fait sien le mot de Jean Mabire. Son compatriote normand, après avoir constaté que nous étions entrés dans l’hiver, écrivait : « Nous sommes quelques-uns qui travaillons au retour du printemps. »
Dominique Venner, Carnets rebelles, volume I, éditions de La Nouvelle Librairie.
Pour commander : https://europa-diffusion.com/fr/accueil/8535-carnets-rebelles-volume-1.html
Pierre Saint Servan
Article paru dans Présent daté du 12 novembre 2021