La revue Nouvelle École vient de faire paraître un numéro haut en couleur, pour la deuxième fois après celui sur la paléogénétique des Indo-Européens (2019). Il est consacré à une figure littéraire essentielle, occupant dans l’univers mental de l’Européen actuel une place fondamentale : John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973). L’auteur britannique, renommé pour son Hobbit, son Seigneur des Anneaux ou encore son Silmarillion, a largement puisé son inspiration dans les traditions européennes, offrant ainsi au lecteur contemporain un nouveau récit fondateur européen, à la manière de l’Iliade, des Eddas, de l’Énéide, du Kalevala ou encore de Beowulf.
Grâce aux efforts d’Armand Berger qui a coordonné ce dossier, nous disposons aujourd’hui d’un nouvel apport en matière de critique tolkienienne. Que l’on ne s’y trompe pas : les contributeurs, lecteurs avertis de Tolkien, proposent tous ici de nouveaux éclairages sur un auteur que l’on pense parfois bien connaître ; qu’il suffise en cela de se rapporter à l’immense bibliographie qui lui est consacré, notamment dans les pays anglo-saxons, rivalisant avec celle de Carl Schmitt. Le dossier Tolkien se clôt d’ailleurs sur une impressionnante bibliographie de l’auteur (1910-2021) dans laquelle le lecteur trouvera nécessairement son bonheur. Il va sans dire que les articles proposés dans ce Nouvelle École apporteront aussi bien aux néophytes qu’aux férus de hobbits matière à réflexion. Le volume comporte également sept articles sous la rubrique Varia qui méritent d’être lus ; ainsi, parmi ces riches études, la contribution de Jean Haudry sur « Les noms des dieux, des héros et des rituels ». Le volume se referme sur la représentation d’un sage Gandalf aux atours bénédictins.
Les racines européennes de Tolkien
Dans un article biographique, Onfroy Charpentier assimile Tolkien à la figure de l’Arbre, une symbolique bien connue, en ce que cet élément végétal est omniprésent dans son œuvre. Cet arbre a bien des racines et il convient de s’arrêter un instant sur l’une d’elles, celle des origines de l’auteur. Le terreau de Tolkien est « profondément européen » : il a des ancêtres en Prusse-Orientale, ainsi que dans les Midlands de l’Ouest anglais, où l’on a longtemps parlé un anglais conservé sous sa forme dialectale. Une région qui compte énormément pour Tolkien, car c’est là que fut composée, sept siècles plus tôt, entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle, une œuvre moyen-anglaise de première importance, Ancrene Wisse (La Règle des Recluses) qui permet de bien retracer l’évolution linguistique du vieil anglais vers une langue bouleversée par la conquête normande. Un texte que Tolkien connaît intimement et qu’il va éditer en 1962, alors que le projet remontait à 1935… On reconnaît bien là l’auteur et ses intentions qui aboutissent – quand elles aboutissent ! – après bien des années. L’homme est sensible à ses origines (en particulier anglaises, non pas britanniques), clairvoyant quant à son identité enracinée.
Il faudrait encore ajouter à propos de cette identité qu’elle ne saurait être pleinement comprise sans saisir, jusque dans les nuances, l’importance du catholicisme pour Tolkien, aussi bien dans sa vie que dans son œuvre, importance bien établie depuis la parution du livre de Leo Carruthers, Tolkien et la religion. Comme une lampe invisible (Presses Universitaires Paris-Sorbonne, 2016). L’article de Jérôme Sainton, dans ce dossier, qui aborde la notion de « libre-arbitre », montre la profondeur de sa réflexion sur la foi à travers la fiction.
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