Presque entièrement dépouillé de son caractère sélectif depuis des années et donc déjà totalement dévalorisé aux yeux des mondes universitaire et professionnel, le baccalauréat, au travers de son édition 2020 marquée par un taux de réussite record de 91,5 % obtenu grâce au contrôle continu et à diverses manipulations douteuses, vient de recevoir le coup de grâce. Car, prenant prétexte du relatif « bon déroulement » de cette édition 2020, certains militent déjà pour une généralisation du contrôle continu en 2021.
Plus fort encore qu’en 1968 !
La nouvelle n’aura évidemment surpris personne : avec un taux de réussite de 91,5 % à l’échelle nationale avant les épreuves de rattrapage, soit une hausse de 13,7 points par rapport à celle de 2019 (77,7 %), l’édition 2020 du baccalauréat aura atteint le taux de réussite le plus haut jamais enregistré dans notre histoire. Plus fort encore qu’en 1968, année où, comme chacun sait, l’Education nationale a allègrement distribué le précieux sésame. Dans le détail, les résultats sont même encore plus impressionnants puisque, si l’on considère les résultats du bac général, le taux de candidats admis d’emblée atteint les 94,3 %, soit +14,7 points par rapport à 2019 ! Des résultats impressionnants, dont se sont bien sûr immédiatement félicités mardi le ministre de l’Education et le Président, mais qui sont évidemment dus, d’abord et avant tout, à la décision du gouvernement d’attribuer cette année ce diplôme sur la seule base des notes obtenues au contrôle continu par les élèves au cours des deux premiers trimestres en raison de l’épidémie de COVID-19. Un choix qui, d’emblée, ne pouvait que favoriser des candidats notés non plus par un jury neutre et anonyme, mais par des enseignants que l’on imagine mal pénaliser leurs élèves avec de mauvaises notes. Par ailleurs, craignant peut-être que ce « cadeau » fait aux lycéens ne soit pas suffisant, le ministère de l’Education avait appelé en outre les jurys d’harmonisation, chargée chaque année d’assurer l’équité entre les candidats en fonction de la correction plus ou moins sévère des correcteurs, à une « harmonisation » des notes dans… « un esprit de bienveillance ». En clair ? Cette année, on donne le bac…
Notes gonflées et moyennes trafiquées
Le message a été si bien reçu que des enseignants desdits jurys, qui se préparaient à généreusement « revaloriser les moyennes » des candidats, se sont rendu compte que de nombreuses « notes, saisies manuellement, ne correspondaient pas à celles inscrites sur les livrets scolaires mais étaient en fait bien supérieures ». Traduction : nombre d’établissements désireux de ne pas léser leurs élèves et d’afficher des bons résultats au bac n’ont pas hésité, avant même l’intervention des jurys d’harmonisation, à gonfler les notes de leurs élèves. C’est ainsi qu’une enseignante, interviewée mardi par France Info, a rapporté que sur la « douzaine d’établissements » dont son jury avait la charge, « il y en avait quatre ou cinq avec des taux de réussite très largement supérieurs à ce qu’il se passait d’habitude » ! Une situation dont se sont plaints certains membres des jurys, mais qui n’a pas empêché d’autres, notamment dans l’académie de Créteil, d’aller jusqu’à donner le diplôme à des candidats auxquels il manquait parfois 55 points ! Bref, chacun l’aura compris : cette édition 2020, plus encore que les précédentes, aura été une gigantesque escroquerie. Mais il y a plus grave encore : invoquant la prétendue réussite du passage du bac au contrôle continu cette année, certains, dans l’entourage du ministre, plaident maintenant pour que la réforme prévue par Blanquer, qui faisait déjà la part belle au contrôle continu à partir de 2021, s’oriente vers une généralisation de ce mode d’examen.
Franck Deletraz
Article paru dans Présent daté du 8 juillet 2020