Bienvenue au Kosovo est un titre à prendre au douzième degré. Sur la très belle couverture de l’album, Kosovo est écrit selon la typographie publicitaire d’une marque de soda symbole de l’Empire. Cette couleur rouge, c’est celle du mondialisme américain – particulièrement actif dans le démembrement balkanique – et celle du sang versé dans un conflit pluriethnique. Bienvenue au Kosovo nous raconte le retour au pays de Dimitri, Serbe ayant fui la guerre yougoslave pour l’Italie, pendant son adolescence. Les années ont passé, il doit se rendre sur la tombe de son père en pleine zone kosovare. Pendant le trajet en train, Dimitri fait la connaissance de Milan, un vieux Serbe truculent de Sarajevo.
De leur rencontre s’ensuivra toute une série de retours en arrière dans les souvenirs douloureux de l’enfance, de la guerre où chacun porte son lot de regrets, de failles et de souffrances. Dimitri porte le poids d’une culpabilité vis-à-vis de son père et de sa sœur ; quant à Milan, c’est sa situation personnelle (Serbe de Bosnie ayant une femme musulmane) qui révèle toute la complexité de cette zone de l’Europe où coexistait dans un fragile équilibre une mosaïque communautaire.
L’une des qualités premières de cette bande dessinée est d’avoir su subtilement mettre en forme les problématiques historiques de cette région sans en alourdir le propos ou la narration. Un pari réussi, un graphisme soigné, des couleurs sombres qui cadrent bien avec la tonalité de l’histoire. Le personnage de Milan est à lui tout seul un concentré de tout ce qui déchirera la Yougoslavie post-Tito. Personnage réellement touchant, désabusé, il n’omet pas de nommer les responsables dans un dernier laïus : l’OTAN et, à travers elle, les USA.
Car, oui, la Yougoslavie a bel et bien été un laboratoire pour l’oligarchie en matière de démantèlement territorial, avec le scandale de la création du Kosovo en tant qu’Etat fantoche et mafieux aux relents islamistes ; le tout supervisé par les USA et l’installation de leur base militaire Bondsteel, que du lourd ! Le Kosovo, rappelons-le, est le foyer historique de la civilisation serbe après la bataille de Kosovo Polje en 1389, où les Serbes furent opposés aux troupes ottomanes. Aujourd’hui, le Kosovo est peuplé majoritairement d’Albanais, la population serbe ayant dû, dans son ensemble, fuir.
Pour revenir à notre ouvrage, je ne peux que vous conseiller cette BD qui captivera aussi bien les bédéphiles que les plus réfractaires au genre car c’est un récit poignant sur une période occultée de notre histoire européenne.
Jérôme Régnault
Article paru dans Présent daté du 20 décembre 2019
N. Mirkovic, S. Mogavino et G. Quattrocchi, Bienvenue au Kosovo, Editions du Rocher, 2019, 58 pages, 14,90 euros.