13 morts. 13 soldats et officiers français qui ne rentreront pas chez eux. C’est l’épisode le plus meurtrier de l’armée depuis l’attentat du Drakkar au Liban en 1983.
Dans la nuit de lundi à mardi, un hélicoptère Tigre et un hélicoptère Cougar se sont percutés. Il n’y aurait eu aucun survivant. L’opération Barkhane aura, depuis son lancement en 2013, coûté la vie de 38 de nos soldats. De quoi poser cette question lancinante : à quoi bon ? Pour répondre à cette question, il faut revenir un peu en arrière : l’opération Barkhane est une opération militaire menée au Sahel et au Sahara par l’armée française, qui vise à lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes dans toute la région du Sahel. On peut nommer les groupes Ansar Dine, AQMI, Al Mourabitoune, Etat Islamique dans le Grand Sahara ou encore Ansarul Islam. Face à cette menace protéiforme : l’armée française a déployé entre 3000 et 4500 hommes.
Lancée le 1er août 2014, elle prend la suite des opérations Serval et Epervier. Elle est menée sur le papier en coordination avec les pays membres du G5 Sahel à savoir le Mali, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Tchad et le Niger. Mais c’est bien là que réside une facette du problème :
« Il n’y a pas de calendrier qui se dessine et les objectifs demeurent extrêmement flous. L’agenda est illisible, et la feuille de route semble absente. » remarque Caroline Roussy, chercheuse à l’Iris. En d’autres termes, aucune visibilité. C’est ce que font remonter les militaires présents sur place et qui nous parlent sous couvert d’anonymat. « Hormis tuer du terroriste, on ne sait pas vraiment ce qu’on fait là. A chaque fois qu’on détruit un convoi et condamnons de fait un passage, ils en empruntent un autre le lendemain. On est 3000 à devoir découper et ratisser le Sahara. » Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Et cette botte de foin est infestée de serpents dont le venin imprègne tout et s’infiltre partout. Le corps français a beau se démener, piquer et repiquer la botte, le venin progresse et agrandit chaque jour son cercle d’influence. Aujourd’hui, toute la partie nord du Burkina Faso est classée rouge. Faute de frontières solides entre les pays, les djihadistes s’infiltrent, frappent et s’évanouissent ; cette menace fantôme oblige nos soldats à des trésors de patience, de diplomatie et exige des nerfs d’acier. Car bien souvent, les assassins se dissimulent sous les traits d’une population civile a priori amicale. Même si le sentiment anti-français progresse au Mali où nos forces sont de plus en plus regardées comme une armée d’occupation.
En effet, à l’annonce de la mort de nos soldats, de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux montrent des internautes africains ravis ou hilares qui ne cachent pas leur hostilité. Or, sans l’armée française, le Mali serait aujourd’hui aux mains des islamistes. Mais, sans vision claire, sans feuille de route et surtout sans capacité des pays africains concernés de gérer le problème djihadiste efficacement, nos troupes sont en quelque sorte condamnées à rester. Car partir signifierait avouer un échec. Pire, une défaite. Une défaite qui rendrait caduques des années d’efforts, une défaite qui assurerait aux terroristes une base arrière, une défaite qui conférerait à nos pertes un statut d’inutilité. A l’inverse du sens de leur sacrifice. Ce dernier en revanche, ne s’en ira jamais.
Etienne Defay
Article paru dans Présent daté du 27 novembre 2019