On ne voulait plus voir : on ne les verra plus. Les députés sortants ont été balayés par la vague de « dégagisme » qui s’est abattue sur la France. Plus d’un demi-siècle plus tard, les Français ont entendu le slogan de Pierre Poujade en 1956 : « Sortez les sortants », lorsque le papetier de Saint-Céré avait fait entrer 56 députés à l’Assemblée nationale, dont un certain Jean-Marie Le Pen. Dans l’Assemblée élue dimanche dernier, on compte 75 % de nouveaux députés. Les sortants ont été sortis, mais on n’y voit guère plus clair.
Face à la majorité absolue des élus de La République en marche – bonne nouvelle, ils n’ont même pas besoin de ceux du MoDem, ce qui veut dire que Macron n’a plus besoin de Bayrou (1) –, il va falloir attendre le vote de confiance après le discours de politique générale du premier ministre pour connaître les véritables rapports de force. Une partie des députés de la « droite », ainsi que les centristes de l’UDI, devraient la voter, sans que l’on sache, d’une part, si les députés LR qui le feront seront exclus de leur parti, ni, d’autre part, pour quelles raisons les autres n’accorderont pas leur confiance au gouvernement d’Edouard Philippe, puisque son projet, pour ce qu’on en connaît, consiste à mettre en œuvre ce qu’ils auraient aimé faire – à condition d’en avoir le courage sur le plan économique, social et éducatif –, s’ils s’étaient retrouvés au pouvoir !
Si l’on a bien suivi, les élus les plus à gauche de la droite vont voter la confiance à un gouvernement qui leur sied par son progressisme affiché en matière sociétale, comme on dit (mais devrait les rebuter par son programme économique), tandis que les élus les plus à droite, qui sont des libéraux, vont la lui refuser – par principe politicien, considérant qu’ils ont été élus pour constituer l’opposition ? – sans pour autant dénoncer ce même progressisme – en matière d’immigration et de mœurs – contre lequel, à de rares exceptions près, ils ne se sont jamais dressés.
[…] Il y aura donc deux oppositions frontales à Emmanuel Macron, celle des députés de La France insoumise – avec ceux du Parti communiste – et celle des députés du Front national et apparentés, encore qu’on ne voit pas quel projet de loi de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les hommes et les femmes – si elle est reconduite –, pourrait entraîner le courroux des premiers, ni comment les élus FN pourraient justifier de ne pas plébisciter, s’il met ses actes en conformité avec ses nombreuses déclarations de ces dernières semaines, les réformes souhaitées par Jean-Michel Blanquer, un ministre de l’Education nationale comme on n’espérait plus en avoir, du moins dans les intentions.
La question est, en fait, non pas « quelle opposition à Emmanuel Macron ? », ni même « quelles oppositions à Emmanuel Macron ? », mais « une opposition à Emmanuel Macron, pour quoi faire ? » Sur quelles bases ? Pour porter, à la place, quel projet de société ?
Pour réformer la France – et elle en a besoin –, il n’y a que deux voies possibles : soit le référendum, soit les ordonnances. Marine Le Pen avait choisi la première, Emmanuel Macron a opté pour la seconde et, en début de mandat, ayant annoncé la couleur, il dispose de la légitimité acquise dans les urnes, quel qu’ait été leur taux de remplissage. Le combat de la reconquête ne se déroulera pas sur ce terrain-là ou alors il profitera à d’autres.
« Il y aura une gauche de combat face aux ordonnances Macron à l’Assemblée » titrait « L’Humanité ». Fort bien. Mais quelle sera « la droite de combat » ?
Celle qui s’apprête, par refus d’une « loi El Khomri puissance 10 », à noter les noms, pour les dénoncer, de ceux qui, « dans Les Républicains, [vont] voter ou non la possibilité de recours aux ordonnances », ou celle – aussi introuvable que l’est la Chambre – qui saura porter un autre projet de société que celui défendu par Emmanuel Macron – sans être pour autant la préservation de la situation antérieure ?
Pour Emmanuel Macron, tout commence. Pour son opposition de droite aussi.
Editorial de l’hebdomadaire Minute daté du 21 juin 2917
(1) MAJ 21 JUIN à 8 heures : François Bayrou vient d’annoncer son départ du gouvernement.