Source : Sénat
L’intervention du Général Vincent Desportes devant la Commission des affaires étrangères du Sénat est à lire absolument. Ce grand stratège, limogé pour son franc-parler, ne déroge pas à sa réputation. S’il est étonnant d’entendre dans les enceintes feutrées du Palais du Luxembourg nommer aussi directement les responsables du chaos — Les USA en l’occurrence —, il est aussi intéressant de l’entendre dénoncer l’amateurisme et le manque de vision de la politique étrangère française, et notamment son volet militaire. Extrait.
Général Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po Paris. — Avant de revenir vers les critères d’évaluation des opérations extérieures, je crois qu’il faut dire, affirmer et répéter sans faiblesse : « Daesh delenda est ». Ayons la force de Caton l’Ancien.
Daesh est aujourd’hui le danger majeur. Nous n’avons certes pas les moyens de tout, en même temps. Les menaces doivent être priorisées, quitte à consentir quelques compromis avec les moins brûlantes : dans le monde réel, dans un contexte de ressources et de moyens limités, notre politique ne peut être que réaliste.
« Daesh delenda est »… mais nous ne pourrons répandre le sel sur le sol de l’Irak et de la Syrie. Il faudra au contraire le rendre fertile pour de nouvelles semences.
« Daesh delenda est »… et pourtant votre interrogation demeure fondamentale : personne ne doute ici qu’il faille détruire Daesh, mais devons-nous participer nous-mêmes à cette destruction ?
Un mot sur Daesh, d’abord.
Ne doutons pas de la réalité de la menace directe pour nos intérêts vitaux, dont notre territoire et notre population. Daesh est le premier mouvement terroriste à contrôler un aussi vaste territoire (35 % du territoire irakien, 20 % du territoire syrien). Ce qui représente 200 000 km² (soit l’équivalent de l’Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, PACA et Rhône-Alpes réunis) et une population de l’ordre de 10 millions de personnes. Ce territoire est imparfaitement, mais réellement « administré » par un « ordre islamique », fait de barbarie et de rackets. Daesh dispose d’un véritable « trésor de guerre » (2 milliards de dollars selon la CIA), de revenus massifs et autonomes, sans comparaison avec ceux dont disposait Al-Qaïda. Daesh dispose d’équipements militaires nombreux, rustiques, mais aussi lourds et sophistiqués. Plus que d’une mouvance terroriste, nous sommes confrontés à une véritable armée encadrée par des militaires professionnels.
Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les États-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs — dont certains s’affichent en amis de l’Occident — d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les États-Unis. Ce mouvement, à la très forte capacité d’attraction et de diffusion de violence, est en expansion. Il est puissant, même s’il est marqué de profondes vulnérabilités. Il est puissant, mais il sera détruit. C’est sûr. Il n’a pas d’autre vocation que de disparaître.