Source : Minute (2732)
L’émir de YouTube n’a fait que du mal
La mort d’Omar Omsen a été annoncée dans la nuit du 7 au 8 août. À travers ses vidéos diffusées sur internet, il a été l’un des principaux recruteurs de musulmans partis de France pour mener le djihad en Syrie. Retour sur la vie criminelle d’un Sénégalais de Nice, d’un voyou devenu pourvoyeur en fous d’Allah.
En décembre 2011, une trentaine de jeunes musulmans, majoritairement issus des quartiers Est de Nice, préparent leur départ pour mener la guerre sainte en Afghanistan. Ils entendaient gagner le pays via la Tunisie puis la Libye. À la tête de leur groupe, un « gourou » : Omar Omsen, de son vrai nom Oumar Diaby, Omsen étant un diminutif pour « le Sénégalais ». Le projet va tomber à l’eau, bêtement.
Le 9 décembre 2011, Omar Omsen se rend à la gare Centrale de Nice pour y accueillir deux nouvelles recrues. Omar Omsen fait l’objet d’un banal contrôle d’identité puis il est interpellé. « Y aura-t-il une association quelconque pour reprocher un inopportun contrôle au faciès ? » ironise Philippe Vardon en évoquant cette arrestation dans son livre l’imam Estrosi, consacré à l’islamisme à Nice.
En réalité, ce ne sont pas ses activités politico-religieuses et un signalement des services de renseignement qui sont à l’origine de cette arrestation : l’ancien délinquant a été rattrapé par une vieille affaire de trafic de pièces de voiture pour laquelle il n’a pas purgé sa peine. Le passé criminel d’Omar Omsen se rappelle à lui, et les rêves de djihad afghan de trente jeunes musulmans s’évanouissent en même temps qu’il retourne en prison.
En contact avec Mohamed Merah ?
Ce n’est pas une première pour le Sénégalais (il est né au Sénégal et n’est arrivé en France qu’à 7 ans). Omar Omsen a grandi dans le quartier « sensible » de l’Ariane, à Nice. En 1995, celui qui n’est pas encore Frère Omsen est incarcéré pour une tentative de meurtre. Il a volontairement percuté un homme en voiture dans le cadre de règlements de comptes entre les bandes rivales des quartiers de l’Ariane et des Moulins. Cela aurait dû suffire pour le mettre hors d’état de nuire, mais non : après seulement cinq années en détention, on le retrouve encore mêlé à des affaires de braquages. Qui n’ont pas plus de conséquences…
C’est à partir de 2005, après un retour à la religion opéré derrière les barreaux – ben tiens ! –, qu’on va le retrouver prêchant au bas des tours de la cité Bon-Voyage, toujours dans les quartiers Est de Nice, ou aux abords de son stade de football. Il ne se contente pas de prêcher en direct puisqu’il est aussi l’un des premiers à se lancer dans la réalisation de vidéos islamistes diffusées sur internet.
C’est en réalité à la lumière de l’affaire Merah – soit trois mois plus tard – que l’arrestation survenue en gare de Nice en 2011, les projets de départ vers l’Afghanistan et l’existence du prédicateur Omar Omsen sont révélés par la presse locale puis diffusés par les médias nationaux. C’était l’heure du grand déballage, d’autant plus que l’on soupçonnait alors Omar Omsen d’avoir été en contact avec le tueur de Toulouse.
Omar Omsen, interrogé en février 2014 dans l’ouvrage de David Thomson (journaliste de RFI spécialiste du djihadisme) « Les Français djihadistes », niera tout contact direct et encore plus toute complicité avec Merah. Il admettait en revanche que ce dernier était « amateur » de ses vidéos et qu’ils avaient échangé via la messagerie du réseau social Facebook…
Les affaires reprennent au Sénégal
Les liens du Sénégalais étaient en revanche bien plus étroits avec le groupuscule islamiste Forsane Alizza (« Les Cavaliers de la fierté »). Alors que le groupe avait été dissous en février 2012 par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant, un coup de filet parmi ses dirigeants et sympathisants mené en avril 2012 dans la foulée de l’affaire Merah avait permis de mettre à jour plusieurs projets d’enlèvements voire d’assassinats d’« ennemis de l’islam », parmi lesquels le juge lyonnais Albert Lévy, le président du Bloc identitaire Fabrice Robert ou encore l’animateur du site Fdesouche.com.
Le 10 juillet dernier, le chef du groupe, le Franco-Tunisien Mohamed Achamlame, a été condamné à neuf ans de prison ferme, assortis d’une période de sûreté des deux tiers et d’une interdiction de droits civiques pendant cinq ans, par le tribunal correctionnel de Paris pour « association de malfaiteurs en relation avec une entre — prise terroriste ». Avec lui, treize autres membres ont été condamnés à des peines allant d’un an de prison avec sursis à six ans de prison ferme. De son côté, comme vingt-six autres proches de Forsane Alizza, Omar Omsen verra simplement ses fonds en France gelés par un arrêté ministériel du 2 mars 2012.
Libéré sous contrôle judiciaire puis expulsé vers le Sénégal, le prédicateur a déjà d’autres projets : ce n’est pas en France que celui-ci souhaite continuer son djihad. Les autorités françaises espéraient sans doute s’être débarrassées d’un problème en expulsant Omsen, en réalité son influence ne va faire que grandir. À Dakar, il va s’investir encore davantage dans la production de vidéos appelant désormais à l’hijra, le retour en terre d’islam, et se faisant de plus en plus offensives. Bientôt, il va lui-même réaliser cette hijra et se rapprocher du djihad faisant désormais rage en Syrie.
À la tête d’une katiba francophone
À l’automne 2013, Omar Omsen va gagner le nord de la Syrie, en passant par la Turquie. Il y retrouve plusieurs dizaines de « fans » l’ayant rejoint depuis la France ou d’autres pays francophones, séduits par son discours. Sa famille (trois femmes et six enfants) va rapidement le rejoindre aussi.

De sympathiques djihadistes de la brigade francophone d’Omar Omsen…
Dans un premier temps, il va s’efforcer de se tenir à l’écart des rivalités entre les deux factions djihadistes, le Front al-Nusra (ou JAN, pour Jabhat al-Nusra), émanation locale d’Al-Qaida, et l’État islamique (qui s’appelle alors État islamique en Irak et au Levant, la restauration du califat n’ayant pas encore été proclamée). Mais rapidement, ses critiques sur l’État islamique, et notamment sur le peu d’attention qui est selon lui accordée dans ses rangs à l’éducation religieuse, vont lui attirer de solides inimitiés.
Dans le livre de David Thomson, il raconte avoir échappé de peu, dans un cybercafé, à une descente d’hommes de l’EI qui le recherchaient. Dans un entretien donné à « L’Obs » en mars 2014, Omar Omsen précisait ses critiques envers l’État islamique : « Les gens de l’EI sont en fait des jeunes ignorants sans formation religieuse sérieuse. Et puis ce sont d’anciens voyous dont le comportement déviant ressort dès qu’on leur met des armes entre les mains. »
Finalement, en décembre 2013, Omar Omsen va donc prêter allégeance au Front al-Nusra et sa katiba (brigade) francophone, composée de 80 à 100 combattants, va être intégrée à l’organisation. Dans cette katiba, on retrouve énormément de Français, et singulièrement des musulmans venus de Nice, où Omsen bénéficie toujours de relais et d’une aura importante. On dénombrerait plus de 100 djihadistes partis de cette seule ville pour combattre en Irak et en Syrie.
Voici donc à partir de décembre 2013 Omsen désormais émir de Fir katul Ghuraba (« la brigade des étrangers »), dont les hommes sont basés à Atma près de la frontière turque et Hraytan au nord d’Alep. C’est dans cette région d’Alep, au cours d’une reconnaissance avant une attaque programmée contre les troupes du régime syrien, qu’Omar Omsen aurait été frappé au torse par des balles et des éclats d’obus fin juillet. Ce serait la cause de sa mort après une période de coma, une information révélée dans un premier temps par les spécialistes du djihad David Thomson et Romain Caillet.
L’émir Omar Omsen laisse donc des hommes désœuvrés, les combattants de sa katiba et ses admirateurs de par le monde. Autant dire que nous ne le regretterons pas… Sur le terrain, à la tête de sa brigade, Diaby/Omsen aurait déjà été remplacé par un nouveau leader : d’après David Thomson toujours, le nouvel émir de Firkatul Ghuraba serait Abu Waqqas, originaire… de Savoie.
Manifestement moins bien renseigné, ou plus prudent, lundi, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve se contentait de déclarer à propos de la mort d’Omar Omsen : « Des vérifications sont en cours, qui ne sont pas faites uniquement par mes services. » Une chose apparaît certaine en tout cas : ce n’est pas sous ses ordres que nos services procéderont à l’élimination d’individus comme Omsen.
Et c’est dommage.
Lionel Humbert
Lire l’encadré correspondant à cet article : « 19HH » un « youtubeur » d’un genre particulier