[Entretien Novopress] Jean-Claude Rolinat : “Ian Smith, c’est l’aventure de la brousse”

15 janvier 2015 | Entretiens, Politique

15/01/2015 – PARIS (NOVOpress)
Dans le dernier ouvrage de la collection Qui-suis-je ? aux éditions Pardès, Jean-Claude Rolinat revient sur une figure méconnue et ô combien symbolique d’Européen en Afrique : le rhodésien Ian Smith (photo).

Propos recueillis par Pierre Saint-Servant


Voyageur impénitent, vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’Amérique latine, le Québec, l’Afrique du Sud ou encore Israël. Sur la Rhodésie, vous avez publié en 2002 le Livre noir de la Rhodésie blanche. Pourquoi revenir aujourd’hui sur la personnalité de Ian Smith ?

Le Livre noir de la Rhodésie blanche, soyons franc, n’a pas rencontré le succès que j’en escomptais. Les gens oublient les évènements et les jeunes générations n’ont pas l’air d’être très curieuses…C’est pour cela que je reprends, sous la forme d’une biographie du « père de l’indépendance » rhodésienne, l’aventure de l’homme blanc au cœur de l’Afrique australe.

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Je n’ai pas peur de comparer ces colons avec les premiers « sabras » israéliens au risque de faire grincer des dents, avec les Pieds noirs d’Algérie ou les Portugais en Angola. C’est le même profil d’aventurier au sens noble du terme : des défricheurs, des bâtisseurs, des pionniers.

Tel que nous le découvrons, Ian Smith est le type parfait de l’Européen travailleur et cultivé, forgé par une éducation rigoureuse et renforcé par l’épreuve des combats. Des hommes de sa trempe semblent avoir depuis longtemps disparu des planchers. En quoi Ian Smith peut-il être considéré comme “exceptionnel” ?

Il faut des héros à notre jeunesse française, disons « de droite » au sens très large du terme, et des héros d’un combat « contemporain ». Jeanne d’Arc, Saint-Louis, Napoléon c’est très bien, mais « c’est un peu daté ». Ian Smith c’est un héros de la dernière guerre, un pilote de combat, c’est aussi et surtout, au départ, l’aventure de la brousse. Il porte comme beaucoup d’autres « le fardeau de l’homme blanc » comme disait Kipling. Je n’ai pas peur de comparer ces colons avec les premiers « sabras » israéliens au risque de faire grincer des dents, avec les Pieds noirs d’Algérie ou les Portugais en Angola. C’est le même profil d’aventurier au sens noble du terme : des défricheurs, des bâtisseurs, des pionniers.

Dans l’itinéraire politique de Ian Smith, à partir de quel moment le fidèle sujet de Sa Majesté a cédé le pas au Rhodésien rebelle ?

Tout bascule quand Ian Smith comprend que la métropole britannique n’acceptera jamais la pérennité du pouvoir blanc dans un pays majoritairement peuplé de noirs. Ce n’est plus dans l’air du temps, nous sommes entrés dans l’ère mortifère des « indépendances »   africaines. Londres s’apprête à saboter la Fédération d’Afrique centrale dont la Rhodésie fait partie avec celle du nord (future Zambie) et le Nyassaland (futur Malawi). A ce moment précis, décembre 1962, Ian Smith devient pour la première fois ministre dans le cabinet de Winston Field à Salisbury, la capitale (aujourd’hui Harare). A cette époque, contrairement à l’Algérie ou à l’Angola par exemple, la Rhodésie du Sud était une colonie de Sa Majesté doté de toute l’autonomie possible.

La Rhodésie est peu évoquée en France. Lorsqu’elle l’est, cependant, c’est pour dénoncer un terrible état raciste. Qu’en est-il ?

Ian Smith considérait que la majorité noire de la population (plus ou moins 90 %) n’avait pas encore suffisamment d’élites pour gouverner le pays. L’exemple catastrophique de l’ex-Congo belge était là pour appuyer sa thèse. Toutefois, il était très lucide et il savait qu’un jour, il faudrait passer la main. Mais peut-on lui donner tort quand on voit l’immense gâchis africain post-indépendances ? Quant au « racisme » supposé, la ségrégation de type apartheid n’existait pas même si, bien sûr, les blancs étaient en haut de la pyramide sociale, politique et économique.

Pour justifier la répartition électorale très favorable à la minorité blanche, Ian Smith déclarait en 1975 qu’il avait toujours défendu “un gouvernement de la majorité responsable et non un gouvernement de la majorité irresponsable”. Qu’entendait-il par-là ?

Au moment de la sécession le 11 novembre 1965, trop peu de noirs étaient, selon lui, capables de gouverner et quand on observe ce qui se passait ailleurs en Afrique au même moment, on ne peut qu’abonder dans son sens. Il était partisan d’une lente évolution devant mener, à terme, les noirs aux affaires. La trop rapide mutation de notre Communauté française – souvenons-nous des putschs à gogo dans nos anciennes possessions – n’a pas conduit les populations des ex-AOF et AEF au bonheur post-colonial : Côte d’Ivoire, Congo Brazza, RCA, Tchad, Mali, tous ces pays ont été le théâtre de guerres tribales, de révolutions ou de coups d’Etat.

Mugabe, en expropriant les 6.000 fermiers blancs qui assuraient l’essentiel des rentrées de devises, a tué l’agriculture. Tout ça pour redistribuer les domaines à ses courtisans, incapables de les faire fructifier. La famine fait des ravages dans ce pays qui était jadis largement excédentaire et exportateur de biens alimentaires. Officiellement il y a un chômeur pour deux personnes en âge de travailler, « officiellement »…

Les nombreux volontaires français engagés en Rhodésie ne sont que brièvement évoqués, pourquoi cette discrétion ? Que pouvez-vous nous dire de cette aventure ?

J’en parle à la page 117 de mon ouvrage, dans une longue annexe consacrée à la Rhodesian army sous le titre anecdotique de « On a retrouvé la 7ème compagnie ». Je n’ai pas à proprement parler, rencontré de mercenaire engagé là-bas, à l’exception d’un entretien téléphonique avec Yves Debay, rédacteur en chef de la défunte revue Assaut, mort en Syrie en faisant son métier de journaliste et à qui j’ai dédié ce livre. Il avait servi étant jeune dans les rangs du Rhodesian Light Infantry. J’ai rencontré très brièvement d’une manière informelle, Frédéric Pons, grand reporter à Valeurs Actuelles qui, jeune lui aussi, avait rencontré Ian Smith à Salisbury.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la deuxième indépendance proclamée le 18 avril 1980 de ce qui s’appelle désormais le Zimbabwe, ne va pas vraiment profiter à la population. Quelle est la situation du pays après 35 ans sous la férule de Robert Mugabe ?

Catastrophique ! Tous les voyants sont écarlates ! Le dollar zimbabwéen ne vaut plus rien, il faut une brouette de billets pour acheter un paquet de cigarettes…Mugabe, en expropriant les 6.000 fermiers blancs qui assuraient l’essentiel des rentrées de devises, a tué l’agriculture. Tout ça pour redistribuer les domaines à ses courtisans, incapables de les faire fructifier. La famine fait des ravages dans ce pays qui était jadis largement excédentaire et exportateur de biens alimentaires. Officiellement il y a un chômeur pour deux personnes en âge de travailler, « officiellement »…

Quelle aurait pu être l’issue favorable d’une Rhodésie à direction européenne, de ce « rêve rhodésien » regretté par beaucoup ?

Après la trahison des accords de Lancaster House en décembre 1979, sorte « d’accords d’Evian » – merci Mme Thatcher !- Mugabe s’est montré très conciliant. Il a gardé le général Peter Walls comme commandant en chef de la nouvelle armée pour rassurer les blancs et éviter un exode, toutefois inexorable. Puis, tout a dérapé avec la chasse aux fermiers. Après l’occupation de sa ferme de Shurugwi, Smith s’en est allé au Cap, chez sa belle-fille. Comme on le comprend : son fils était mort, son passeport lui avait été retiré et il était rayé des listes électorales ! De plus, il y avait belle lurette que son groupe parlementaire avait été dissous. Morgan Tsvangirai, le leader de l’opposition à Robert Mugabe, a dit de lui que « s’il avait été un homme noir, je dirais qu’il a été le meilleur Premier ministre que le Zimbabwe a jamais eu ». Une sorte d’épitaphe pour un homme qui s’est éteint dans une clinique du Cap le 20 novembre 2007. Ses cendres ont été répandues sur son ancien domaine de Shurugwi.

Jean-Claude Rolinat, merci.

Crédit photo : DR

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