Extrait d’un entretien avec le colonel Michel Goya, officier des Troupes de marine et écrivain militaire, paru dans la lettre de Communication & Influence n°59 d’octobre 2014. Communication & Influence est une publication du cabinet Comes Communication (Paris-Toronto-Sao Paulo).
Le combat modifie toutes les perceptions. L’horreur surgit, la peur aussi. Certains hommes vont au-delà et font face. Pourquoi ? Comment ? Issu des Troupes de marine, ayant connu le feu (Afrique, Balkans), le colonel Goya, dirige le bureau Recherche au Centre de doctrine et d’emploi des forces à l’École militaire. Docteur en histoire, spécialiste du leadership et de l’innovation dans les organisations, enseignant dans des institutions prestigieuses, fondateur du blog La voie de l’épée, il vient de publier Sous le feu (Tallandier, 2014).
De 1914 à 2014, les contextes ont évolué. Mais aujourd’hui le soldat au combat est soumis à des influences antagonistes. La réalité du combat d’un côté, certaines règles iréniques de la société civile de l’autre. Or, comme le note le colonel Goya dans l’entretien qu’il a accordé à Bruno Racouchot, directeur de Comes Communication, les événements s’accélèrent, le spectre de la guerre fait son retour. Pouvons- nous continuer à être ainsi déconnectés du réel ? À subir des influences délétères qui nous désarment mentalement ? L’heure n’est-elle pas plutôt venue d’un retour à la Realpolitik ? Entretien sur un sujet sensible…

Le colonel Michel Goya © FJJ
Notre monde occidental est un univers d’où la mort a été évacuée, où l’on s’efforce de circonscrire tout risque pour faire l’apologie du “care”. Votre livre se situe résolument à contre-courant. Sous le feu a pour sous- titre La mort comme hypothèse de travail. Et en bas de la couverture en une figure cette phrase lapidaire: Comment des hommes ordinaires peuvent faire des choses extra- ordinaires. Pourquoi un tel livre ?
Le combat, c’est un cadre qui a ses lois propres. Le combat sort du monde ordinaire, il nous place dans des circonstances totalement différentes de celles auxquelles nous sommes accoutumées. Ce bouleversement de la donne modifie en profondeur notre perception des choses, dont nos réactions et in fine notre être propre.
Comme le disait Louis-Ferdinand Céline qui fut grièvement blessé au tout début de la Grande Guerre, le baptême du feu, c’est le “dépucelage de l’horreur”.
J’ai tenté de décrire ce qui est difficilement descriptible, en m’efforçant de cerner ce qui se passe dans la tête des hommes lorsqu’ils basculent dans cet univers si particulier du combat. Les valeurs qui sont celles dont on doit faire preuve au combat sont finalement toujours les mêmes depuis l’origine. Or qu’est-ce qui pousse des hommes à surmonter leur peur, à être courageux, à exposer leur vie? À travers mon expérience et celle de mes camarades, j’ai essayé de décrire, sur un mode sociologique – je dirais presque ethnologique ou anthropologique – comment et pourquoi l’on combat, de quelle façon on s’adapte, parfois en quelques secondes, à cet univers particulier, qui porte ses règles propres, si dissemblables de celles qui régissent notre monde ordinaire. Certains hommes d’ailleurs recherchent volontairement cette ambiance de combat, cette proximité avec le danger et la mort.
N’existe-t-il pas un déphasage entre les valeurs de notre monde en paix, volontiers individualiste et hédoniste, et ces efforts énormes demandés au soldat qui doit affronter une autre réalité, d’une très grande violence? Passer ainsi d’une perception à une autre n’engendre-t-elle pas nécessairement une sorte de schizophrénie ?
Oui. C’est un fait qu’il est extrêmement complexe de gérer ces basculements de situations. Cette ambiguïté se retrouve aussi dans la gestion de la communication des armées, tâche complexe s’il en est. Car les campagnes de recrutement vont ainsi porter sur des thématiques bien connues du monde civil (apprendre un métier ou se consacrer à des actions humanitaires) et être en décalage avec les rudes réalités des opérations extérieures. Or, si vous interrogez les jeunes engagés qui veulent aller dans les unités d’intervention, on sent d’emblée chez nombre d’entre eux qu’ils ont envie de découvrir cette dimension du combat. Pourquoi ?
On a là une kyrielle de réponses, d’ordre psychologique ou éthologique, mais il semble bien que cette soif de découverte réponde à des impératifs intérieurs qui ont existé de tout temps : besoin d’aventure, exigence d’aller au-delà de soi-même, rejet d’une société par trop aseptisée, souci d’être intégré dans un groupe humain rendu solidaire par les risques partagés en commun, etc… Il faut ici se méfier des perceptions. En particulier de celles émanant des mondes politiques et médiatiques, qui conduisent à penser qu’il faut éliminer de nos vies ce qui est dur ou dangereux. À cet égard, on constate bien souvent que les sociétés humaines se révèlent intrinsèquement plus résilientes et volontaristes que leurs dirigeants, ces derniers faisant preuve d’un déni de réalité. De la sorte, on observe une césure toujours plus importante entre les peuples et la perception des élites au plus haut niveau qui fonctionnent avec une grille de décryptage souvent déconnectée des réalités. Face à une menace qu’il sent monter, un peuple peut réagir en acceptant lucidement la perspective de sacrifices.
Lire l’intégralité de l’entretien : téléchargez la lettre de Communication et Influence