04/10/2014 – PARIS (NOVOPRESS)
La journaliste Anne Le Pape vient de publier François Brigneau dans l’excellente collection Qui suis-je ? des Editions Pardès. Conformément à la loi de cette collection, c’est une biographie ramassée en 120 pages qui est offerte aux lecteurs. Anne Le Pape réussit pleinement l’exercice en rendant un travail dense et très vivant qui ressuscite le grand journaliste « de la droite de la droite », qui aura couvert les plus grands évènements de la deuxième partie du XXème siècle, lorsqu’il n’était mêlé directement à plusieurs d’entre eux. Un très grand journaliste, qui rehausse une profession souvent marécageuse. Une leçon de courage avec l’ambiance délicieuse de la France de Michel Audiard.
Propos recueillis par Pierre Saint-Servant
Peut-on identifier dans son œuvre un “style” Brigneau ? Ne serait-ce pas un mélange de Daudet (Léon, qui vous est cher) et d’ADG ou de Dard ?
Les premières chroniques écrites par François Brigneau, alors sous le pseudonyme de Julien Guernec, étaient des chroniques en « langue parlée écrite », que Céline a d’ailleurs remarquées et saluées. Il ne s’agit pas d’argot à proprement parler. Il aimait la langue populaire, qu’il connaissait bien et savait rendre à merveille. Les traces de cette langue se retrouvent bien sûr dans ses articles. J’ai noté que Jean Mabire, dans ses études littéraires de Que lire ?, évoquait son nom à propos de Jehan Rictus comme d’Alphonse Boudard.
Sa parenté de tempérament avec Léon Daudet est évidente. L’analyse qu’il fait des talents de polémiste de Daudet s’applique parfaitement à lui : ils ont tous deux « la drôlerie, (pas de polémique sans comique), la justesse du trait, le sentiment, pour le “vibrato” nécessaire, un peu de méchanceté et une indignation toujours dominée, qui sait parfois se terminer par une pirouette, par une cocasserie ».
Les premières chroniques écrites par François Brigneau, alors sous le pseudonyme de Julien Guernec, étaient des chroniques en « langue parlée écrite », que Céline a d’ailleurs remarquées et saluées.
Brigneau était profondément enraciné, défenseur infatigable du petit peuple breton, comment articulait-il sa défense des patries charnelles et son nationalisme assumé ?
Brigneau n’a jamais été autonomiste, même s’il a rencontré des personnalités ou des écrivains qui l’étaient. Adolescent, il aurait plutôt eu tendance à s’en moquer. Plus tard, il a pu comprendre certaines de leurs idées, même s’il ne les partageait pas.
C’est un thème sur lequel j’aimais l’interroger, car il revêt une certaine importance pour moi. Il s’en explique dans ses Cahiers, notamment dans 75 ans, où il répond à mes questions. Il n’a jamais partagé l’analyse d’un Yann Fouéré (L’Europe aux cent drapeaux), par exemple, même lorsqu’il pensait nécessaire la construction d’une Europe forte. Puis la notion du pays France lui est apparue, au fil du temps, comme celle qui primait sur tout le reste.
Brigneau n’a jamais été autonomiste, même s’il a rencontré des personnalités ou des écrivains qui l’étaient. Adolescent, il aurait plutôt eu tendance à s’en moquer. Plus tard, il a pu comprendre certaines de leurs idées, même s’il ne les partageait pas.
Il aimait toutes les provinces de France, découvertes pour certaines grâce au bateau ou au vélo. Il gardait une préférence pour la Bretagne, certes, mais en la considérant toujours dans le giron de la France. C’était un thème de plaisanterie entre nous…
Parmi les citations dont vous émaillez votre propos, on trouve son refus d’“un monde livré à la fois au capitalisme cosmopolite et au socialisme emperlouzé”. Brigneau avait une fibre sociale profonde et un dégoût du règne de l’argent tout aussi fort. Peut-on dire qu’il était philosophiquement de droite et économiquement de gauche ?
Ni de droite – droite classique, j’entends – ni de gauche, qu’il a quittée en 40, lors de la défaite française, une fois pour toutes.
Lorsqu’il se présente comme « homme de droite », au micro de Jacques Chancel ou dans la revue Item (janvier 1976), il s’agit bien évidemment de la droite de conviction, ou de ce qu’il a appelé également « la droite de la droite ». Quand il se dit « de droite », il fait allusion au fait d’apprécier comme un don fantastique du ciel le seul fait d’être venu au monde et, plus encore, d’y être venu en France. La politique pour lui se résume en ceci ; conserver l’héritage, y apporter sa part et transmettre le domaine, si possible enrichi, au suivant. « Enrichi » au sens noble, évidemment. Je l’ai signalé, il souhaite une société plus sociale et solidaire que libérale, capitaliste et bâtie sur l’Argent. Ce qui peut, si l’on veut, rappeler certains traits d’une gauche comme celle qu’il a pu connaître enfant dans sa famille. Mais celle que nous connaissons, quant à nous, en est si loin !
Lorsqu’il se présente comme « homme de droite », au micro de Jacques Chancel ou dans la revue Item (janvier 1976), il s’agit bien évidemment de la droite de conviction, ou de ce qu’il a appelé également « la droite de la droite ».
Travailleur acharné, bon-vivant, esprit ouvert à tous, quasi-libertaire lorsqu’il s’agissait de sa liberté d’expression, que retenez-vous – vous fûtes sa collaboratrice durant de nombreuses années – de François Brigneau ?
Je retiens l’image d’un homme à l’esprit profondément fin, à la grande curiosité intellectuelle, plein d’humour. Gentiment moqueur, de lui comme des autres. D’une grande générosité, cherchant toujours à aider et à mettre en valeur plus jeune que lui, ce qui est assez rare, finalement. Un modèle de professionnalisme et de tranquille courage.