La terre et les morts : notre devoir de mémoire 1914 – 1918 (1)

8 septembre 2014 | Culture, Europe, France, Politique, Société

08/09/2014 – LAVAL (NOVOpress)
Il aura fallu cent ans pour que la société moderne, gangrenée par l’hyper-mobilité, la sur-consommation et le rejet pathologique du passé, se souvienne d’une guerre qui fut à l’origine d’un ethnocide sans précédent. Des générations de paysans et d’ouvriers ne reviendront jamais de quatre années d’un conflit indépassable dans l’horreur et l’héroïsme quotidien. Ceux-là mêmes qui eurent à affronter les sabreurs de Clémenceau le Rouge quelques années plus tôt lors des grandes grèves du début de siècle, fourniront sans rechigner les bataillons lancés dans la boue des tranchées. L’aristocratie française s’éteindra elle aussi dans les charges et les trous d’obus, « en casoar et gants blancs », sous le regard moqueur de l’industrie de l’armement. L’année 1918 verra naître la fin d’un monde.

Si notre attention est essentiellement dirigée sur la société de demain et les façons d’y parvenir, nous n’oublions pas que nous sommes les gardiens d’une tradition et d’une histoire. La Grande Guerre, par son ampleur folle, a touché chaque famille française, du plus petit village, à la grande métropole. Nos monuments aux morts en témoignent. Hors du consensus mou orchestré par l’Etat, il nous a paru indispensable d’évoquer cette tragédie humaine et la mémoire de nos ancêtres. Celle-ci nous appartient tout autant – et peut être même plus – qu’à d’autres.

Pour ce faire, nous avons choisi délibérément de suivre un de ces conscrits de 1914 à travers les lettres qu’il envoya quotidiennement à sa famille et ce jusqu’à son décès au front le 28 février 1915 (photo). Ces lettres furent publiées dans la presse locale pendant la période de guerre et restent inédites depuis. Si elles reflètent pleinement une époque (la propagande joue un rôle déterminant), on y découvre l’homme en arme avec toutes ses contradictions. Mais c’est surtout le quotidien effrayant des combattants que nous allons découvrir.

D’origine modeste – son père est journalier et sa mère femme de ménage –, Paul Vaseux naît le 6 janvier 1889 dans un petit village du Maine, sur les marches de Bretagne et Normandie. Incorporé à compter du 28 septembre 1907 comme engagé volontaire au 131ème régiment d’infanterie, le jeune homme se rengage successivement quatre fois et gravit les échelons de la hiérarchie militaire : caporal en 1908, sergent en 1911, sergent-major en 1913. Son état des services le décrit blond aux yeux bleus et d’une taille de 1,67 mètre. En décembre 1913 survient le décès de sa mère qui va marquer profondément le jeune sous-officier. Le 1er août 1914 on mobilise. Le 3 août c’est la guerre. Caserné à Orléans, le 131ème régiment d’infanterie rattaché à la 18ème brigade de la 9ème division, s’embarque le 5 août 1914 pour le front et débarque le lendemain à Lérouville.

Voici les premières lettres de Paul Vaseux.


2 août 1914 (minuit)

« L’heure grave a sonné et je serais peut être déjà loin lorsque vous recevrez ce petit mot. Les événements de ces derniers jours ont amené le conflit qui semblait inévitable depuis déjà quelques années, et c’est moi qui aurai l’honneur de vous représenter près du drapeau. Soyez certains que je ferai de mon mieux pour aider dans ma petite sphère à assurer la victoire.

Que Dieu nous assiste et couronne de succès cette gigantesque entreprise ! »

Orléans, 4 août (minuit)

« Je profite de quelques minutes qui me restent avant notre départ pour vous dire un dernier mot.
Je suis presque content de partir, tellement ses deux jours de préparation m’ont paru absorbants et pénibles. Personne ne peut se faire une idée de ce qui se passe dans des moments pareils…

Que sera demain pour nous ? Dieu seul le sait et je me remets complètement à lui. Je suis prêt et j’ai fait de mon mieux pour préparer tout le matériel de mon unité ; j’ai voulu aussi et surtout me préparer à paraître devant Dieu. J’ai l’âme contente, je suis tranquille et tout le reste me paraît bien peu.

Je pars demain matin, 5 août, à 5 heures. Où allons-nous ? Personne ne le sait. Nous nous confions aveuglément et avec confiance à nos chefs. Puissent-ils nous conduire à la victoire. La victoire, nous la payerons facilement et avec plaisir de notre vie.

C’est l’anéantissement de la France ou un accroissement de sa puissance et de sa gloire qui se joue en ce moment. C’est la liberté si chère à tous que nous allons défendre que Dieu nous assiste dans cette campagne.

Ah, si maman était là encore comme elle aurait peur, et comme elle pleurerait. Bonne petite mère ! Puisse-t-elle me guider et me secourir plus encore pendant cette période qu’en tout autre moment ! Et toi, père chéri, que vas-tu devenir ! Prends courage et accepte avec résignation les faits qui se produiront et pense à l’avenir.

Mon meilleur souvenir à tous ceux que j’ai connus et auxquels j’envoie un au revoir bien sincère. Courage et espoir voilà mon dernier mot pour ce soir. Il est une heure et je cours me coucher car à quatre heures il faudra être debout pour partir. Priez pour maman et pour moi chaque jour. »

Nogent-sur-Seine, 5 août 1914 (5h30)

« Nous venons d’arriver ici après avoir parcouru les charmants pays de Seine-et-Marne. Tout le long du chemin nous trouvons une population affable et pleine d’égards. Les voies ferrées sont garnies de femmes, d’enfants, de vieillards qui viennent nous souhaiter la victoire, nous encourager, et on sent combien tous les cœurs sont unis. On ressent une impression profonde, les larmes viennent souvent vitrer nos yeux, le cœur est en pleurs et cependant plein d’espérance.

Tout le long du chemin, nous rencontrons les camarades d’autres régiments. Un seul espoir domine nos sentiments. Nous sommes persuadés du bon résultat de la campagne qui commence, et nous faisons le sacrifice de notre vie pour ce bon résultat.

Tout a été très bien combiné. Les voies ferrées sont gardées par les vieux qui semblent nous dire :  “Marchez courageusement. Le pays vous jugera et attend de vous une plus grande liberté”.

Le bruit des premières victoires nous arrive déjà aux oreilles et ne peut que confirmer nos espérances et notre désir de vaincre coûte que coûte. L’abnégation si dure soit-elle, sera acceptée avec la plus grande résignation.

J’ai remis mes destinées en Dieu. Qu’il me conduise et fasse de moi ce qu’il voudra. S’il veut que je reste, les balles passeront autour de moi sans me toucher. Si au contraire, il me demande le sacrifice de ma vie, j’irai rejoindre ma mère et lui dire que nous attendons tous le jour de la réunion parfaite au séjour du bonheur.
Nous nous dirigeons en ce moment sur Troyes où nous arriverons vers 7 heures. Là une commission nous fera conduire sur le terrain d’opérations où on a besoin de nous : Nancy, Belfort ou Epinal. Alors commencera la rude besogne. Mais soyez certains que rien ne nous rebutera, nous irons jusqu’à ce que nos jambes refusent de nous porter ».

A suivre…

Guillaume le Carbonel

Crédit photo : DR

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