Edouard Limonov : “La Russie vit des jours nerveux”

28 février 2014 | Entretiens, Europe, Politique

28/02/2014 – MOSCOU (NOVOpress)
La crise ukrainienne ne semble pas terminée mais bien au contraire s’achemine vers un niveau plus important suite aux événements récents en Crimée. Novopress a tenu à interroger Edouard Limonov. Fondateur du mouvement national-bolchévique, Edouard Limonov est un opposant virulent à Vladimir Poutine, tout en voulant restaurer la grandeur russe. Cet entretien a été réalisé et traduit le 21 février 2014 par Vladimir Berezovski, les questions étant formulées par Arnaud Naudin.


La crise ukrainienne connaît depuis quelques jours une nouvelle étape, avec des affrontements mortels (on compte plusieurs dizaines de victimes). Cela conforte-t-il le parallèle que vous avez établi avec la Roumanie de Ceausescu et le bobard de Timisoara ?

Les premières « victimes » : Serge Nigoyan, Mikhail Zhiznevski ont été fusillés par une arme de chasse très appréciée des partisans de Bandera : le fusil à canon scié. Ils ont été présentés dans la salle du conseil municipal de Kiev et l’on ne sait pas où ils avaient été tués réellement. Et Nigoyan, (Arménien membre d’ASALA) et Zhiznevski (nationaliste biélorusse) sont des cadavres classiques « de Timisoara ». Ce sont des étrangers, ils n’ont pas eu pitié d’eux. Maïdan avait besoin de cadavres pour son affaire, c’est pourquoi les cadavres sont apparus. Les cadavres des derniers jours sont déjà les cadavres de la guerre civile.

Bien qu’opposant à Vladimir Poutine, vous ne soutenez pas les opposants en Ukraine. Ne considérez-vous pas comme légitime la volonté d’indépendance des Ukrainiens vis-à-vis de la Russie ? Faut-il alors restaurer le grand empire russe (celui des Tsars et celui de l’époque soviétique) ?

De quels « Ukrainiens » parlez-vous exactement ? Il y a au moins deux Ukraine. Que les maïdanistes soient contre le régime de Ianoukovitch (qui n’est qu’un escroc au pouvoir) n’en fait pas des opposants idéologiques au régime. C’est l’insurrection de la minorité active des régions occidentales, rattachées à l’URSS seulement dans les années 1939-1945. Leurs grands-pères voire même leurs pères étaient nés en Autriche-Hongrie ou en Pologne, ils ont une hostilité ancestrale vis-à-vis de l’Ukraine de la rive gauche de Dniepr et vis-à-vis de l’Ukraine du Sud : « l’Ukraine russe » (ce sont les trois quarts de l’Ukraine). Nous avons donc une insurrection des régions occidentales dans l’objectif de soumettre toute l’Ukraine.

La guerre civile existe et continuera mais ils ne pourront pas soumettre toute l’Ukraine. Ils n’auront pas assez de forces en fin de compte, même s’ils ont du succès actuellement.

Sans oublier la flotte russe en Crimée, une importante communauté russe est présente à l’est de l’Ukraine. Va-t-on selon vous vers une risque d’éclatement voire de guerre civile en Ukraine entre l’Ouest et l’Est ? Si tel était le cas, quelles seraient selon vous les conséquences pour la Russie ?

Il y a déjà la guerre civile entre l’Ukraine occidentale et le reste du pays. La rive gauche de Dniepr : les régions de Kharkov, de Lougansk, tout le Donbass, les régions de Dniepropetrovsk, de Zaporojie ; les régions du Sud : Odessa, Nikolaevsk, Kherson, la Crimée ; ce sont les parties héréditaires de l’Empire russe, depuis très longtemps et pour de bon. Leurs habitants sont en réalité Russes et leur mentalité est russe. Ces régions ont été injustement attribuées à l’Ukraine lors de l’éclatement de l’URSS. De plus, il ne faut pas oublier qu’en Ukraine il y a entre 11 et 12 millions de Russes ethniques.

Les deux Ukraine cohabitent depuis déjà plusieurs centaines d’années. C’est un même pays, mais elles n’arriveront jamais à vivre dans un même Etat. C’est le pouvoir communiste qui les a regroupées au sein d’un même Etat.

La Russie vit des jours nerveux. Poutine se comporte de manière trop légère (le « festin pendant la peste » à Sotchi) tandis qu’il faut résoudre un problème géopolitique d’ampleur immense : l’Occident se glisse en Ukraine et veut la contrôler. Les réfugiés ukrainiens se précipiteront bientôt en Russie. D’une façon ou d’une autre la Russie sera attirée dans la guerre civile en Ukraine. Au milieu de tout ce malheur apparaît cependant une chance que le régime de Poutine s’écroule, s’il s’avère attentiste, alors l’Ukraine en flammes donne ses chances à l’opposition russe.

Poutine va-t-il soutenir y compris par la force le régime actuel ? Ou le lâcher comme la Russie semble avoir lâché nombre de ses alliés, comme vous l’avez souvent affirmé ?

Le comportement attentiste est caractéristique de Poutine. Il est un peu plus courageux que Ianoukovitch mais il n’est pas déraisonnable comme Eltsine. Poutine préfèrera lâcher Ianoukovitch, mais le problème c’est que les maidanistes haissent la Russie de manière héréditaire. (C’est pourquoi ils se rapprochent de l’Occident qui leur est également étranger. Ces Tiahnybok se sentent proches de l’Occident tel qu’il était dans les années 1940, ils ont une conscience archaïque.)

Face à cette crise ukrainienne, quelle est l’attitude de l’opposition à Poutine ? Et plus généralement quel est l’état actuel de cette opposition en Russie ?

Nous avons plusieurs oppositions en Russie :

– l’opposition libérale vit sa défaite qu’elle a subie après les élections de décembre 2011. [législatives qui ont vu naître un mouvement de protestation sans précédent depuis 1993, et qui s’est épuisé en prenant une voie modérée et électorale – ndlr]
Les libéraux saluent (pas tous) le Maïdan selon le principe « l’ennemi de mon ennemi (leur ennemi c’est Poutine) est mon ami ». Principe très stupide et très dangereux.

– Les nationalistes. Une partie des nationalistes russes (quoique la moins intelligente) est même allée soutenir le Maidan.

– L’Autre Russie [le parti d’Edouard Limonov – ndlr] montre que le Maidan est un phénomène antirusse, réactionnaire et hostile à la Russie. Nous prêchons l’idée d’une partition de l’Ukraine en deux Etats, en rattachant ensuite l’Est et le Sud à la Russie. Nous avons lancé le mouvement « prendre et partager ! ». Nous prêchons l’annulation des résultats de la privatisation des années 1990, nous cherchons à obtenir la nationalisation d’abord de l’extraction et de la vente du pétrole et du gaz, et ensuite l’expropriation des grands capitaux et nous allons chasser tous les super-riches hors du pays. C’est une idée nationale puissante. Parmi nos autres projets : le boycott total de toutes les élections dans notre pays.

Crédit photo : DR

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