08/01/2014 – 18h00
PARIS (NOVOpress) – Directrice de l’hebdomadaire Rivarol et du mensuel Ecrits de Paris de 1983 à 2010, Camille Galic est une figure incontournable du journalisme de dissidence et de ré-information. Elle nous propose, dans l’esprit de la collection Qui suis-je ?, une biographie brève mais d’une grande précision, qui dénote une connaissance approfondie et une fréquentation amoureuse de l’œuvre de « l’Impératrice du crime ». Le lecteur fidèle des enquêtes d’Hercule Poirot ou de Miss Marple y trouvera son miel à l’égal du novice, tous deux étonnés de nombreux aspects méconnus de la personnalité de Christie ou des nombreux rebondissements de sa propre existence. Un livre à mettre dans toutes les mains, sans risque de déception, pour découvrir ou mieux connaître Dame Agatha aux 4 milliards de volumes vendus.
Nous vous connaissions fine analyste de la vie politique et médiatique – notamment avec la publication récente de votre essai Les médias en servitude, signé Claude Lorne, sous l’égide de la Fondation Polémia – nous avons désormais le plaisir de découvrir votre veine de biographe; pourquoi débuter avec Agatha Christie ? Dans quelles circonstances avez-vous rencontré son œuvre ?
Camille Galic : Tout simplement parce que je la fréquente depuis longtemps. Fillette, j’avais fait sa connaissance à travers deux romans, L’Homme au complet marron et Rendez-vous avec la mort qui m’avaient fait découvrir de grands espaces, l’Afrique australe pour le premier, la Jordanie pour le second. Je me suis ensuite aperçue que ses livres ancrés dans le terroir anglais étaient tout aussi « exotiques ».
Mais, curieusement, c’est après être devenue directeur de Rivarol que j’ai vraiment approfondi l’œuvre de Christie. A l’époque, j’étais la seule permanente de la rédaction avec mon amie Renée Versais, qui ne venait toutefois qu’à mi-temps, et les journées étaient très longues. Lorsque je rentrais chez moi le soir, il était plus de neuf heures et je devais encore lire les quotidiens, unique forme d’information pour nous, trop pauvres pour avoir l’AFP. Du coup, quand venait l’heure du coucher, je restais obsédée par l’actualité. Il fallait décompresser. Ma mère me conseilla Agatha Christie comme sédatif, mais cela ne marchait pas à tous les coups. J’ai donc racheté ses romans en anglais et l’univers christien, comme le passage à une autre langue, constituèrent un sas idéal vers le sommeil — que je continue à pratiquer, avec d’autres auteurs. Mais c’est là, aussi, que j’ai commencé à souligner certaines de ses réflexions, très justes et souvent iconoclastes, sur les races et la société contemporaine. Cette vieille dame si digne pouvait-elle donc être indigne ?
En effet, votre ouvrage n’est pas une énième biographie de Christie ; fidèle à votre regard non conformiste, vous avez souhaité mettre en lumière tout ce que sa weltanschauung et par conséquent son œuvre pouvaient avoir de « politiquement incorrect »…
Incorrect surtout à notre époque de conformisme absolu et de respect des nouveau dogmes, qui juge de tout et de n’importe qui selon les canons actuels. Une journaliste de The Observer a ainsi reproché à l’une de ses biographes d’avoir « absous Agatha Christie du péché d’antisémitisme », le critique français Marc Riglet a dénoncé son « œuvre truffée de notations xénophobes et de propos antisémites ». Ce qui est vrai. Un chapitre de mon livre traite même de sa « fascination-répulsion face au (néo)-nazisme », perceptible dans son Passager pour Francfort et dans une nouvelle inédite exhumée dans ses « Carnets secrets » par le chercheur irlandais John Curran en 2010 et où l’on voit Poirot sympathiser avec le chancelier H. H.… Après la conversion du Führer au pacifisme !
Il est évident que pour elle, les Blancs forment une race supérieure, même si cette affirmation est parfois teintée d’humour mais, je le répète, il faut replacer un auteur dans son époque. Agatha Christie est née en 1890, alors que notre Jules Ferry venait justement de faire l’apologie de la race blanche dont le devoir sacré était d’aller enseigner aux peuples inférieurs.
Et Rudolf Hess aurait-il tenté d’atterrir en mai 1941 dans la propriété du duc de Hamilton en Ecosse dans l’espoir d’aider à une paix séparée entre l’Allemagne et le Royaume-Uni s’il n’avait été convaincu de trouver de puissants appuis parmi la haute aristocratie britannique ?
Moralité, il ne faut jamais tomber dans le péché d’anachronisme, pour les hommes politiques comme pour les écrivains.
Que ce soit par ses lectures de jeunesse ou les séjours qu’elle y fit, Agatha Christie a un attachement réel à la France, ce qui peut étonner de la part d’une Anglaise ; d’où lui vient-il ?
Camille Galic : Je crois que, comme dans mon cas, cet attachement est lié à d’heureux souvenirs d’enfance, pour elle avant la mort d’un père très aimé. C’est à Dinard qu’elle apprit à nager, dans les Pyrénées où sa famille passa six mois que ses parents engagèrent pour l’initier au français une Béarnaise qui les suivit en Angleterre et avec laquelle elle s’entendait à merveille. Elle adorait aussi les romans de Gaboriau et de Gaston Leroux ainsi que notre littérature médiévale.
En revanche, alors que son père était américain et qu’une de ses tantes, habitant New York, était apparentée aux célèbres et richissimes Pierpont-Morgan, elle semble totalement étrangère aux Etats-Unis. Elle n’y consacre qu’une page dans son énorme Autobiographie où elle s’étend au contraire sur la Rhodésie, « le pays des Anglais heureux » longuement et admirativement décrit dans L’Homme au complet marron. Elle n’a situé outre-Atlantique aucun de ses romans et elle juge avec une certaines distances ses personnages, fort rares, originaires des States. Deux d’entre eux sont d’ailleurs des criminels, la sadique Mrs Boynton de Rendez-vous avec la mort et Lewis Serrocold, l’hypocrite philanthrope et redoutable escroc de Jeux de glaces.
Nous sommes irrémédiablement tentés de rapprocher Agatha Christie de Georges Simenon, tant par le qualificatif de « populaire » qui fut accolé à leur œuvre que par l’abondance de cette dernière. Quelles similitudes et quelles divergences apercevez-vous ?
Camille Galic : La première différence, comme je le souligne, est que Simenon « força son destin pour devenir ce qu’il a toujours rêvé d’être un jour : « écrivain », ainsi que le notait Jean Jour dans la biographie consacrée au romancier belge dans la même collection, alors qu’Agatha qui, elle, avait rêvé d’être cantatrice ou pianiste virtuose, avait écrit son premier roman, La Mystérieuse affaire de Styles, à la suite d’un pari avec sa sœur. Et qu’elle attendit la quarantaine et la nécessité de gagner son pain après son divorce pour se considérer comme « une véritable professionnelle ».
Sur le plan des ressemblances, tous deux dépeignent très bien le climat et la société (bien sûr très différente chez l’une et chez l’autre) d’une époque. Il me semble aussi que Simenon, comme Christie, estimait qu’un auteur de romans policiers était « investi d’un rôle social » et animé, comme elle l’a écrit dans son Autobiographie, d’une « sorte de passion. Une passion qui aide à sauver l’innocence », car « c’est l’innocence qui importe », « c’est l’innocent qui doit être protégé ». Chacun à sa manière, Maigret et Poirot sont des justiciers.
Pour revenir à ces auteurs de romans dits « populaires », nous sommes étonnés de voir l’abîme qui les sépare de leurs confrères actuels, notamment dans la qualité des personnages mis en scène. Quelle chute ! Est-ce l’époque qui a glissé, chuté, s’est vautrée ou bien plutôt l’art de la raconter ?
Camille Galic : D’abord, en ce qui concerne Agatha Christie, elle était folle de littérature, de grande littérature dont elle resta jusqu’à sa mort une « lectrice vorace » — Curran dixit — et cela vous forge non seulement un style mais aussi une manière de penser dont la plupart de ses héritières sont dépourvues. De plus, ces dernières sont polluées par l’époque, qui privilégie la vulgarité, la brutalité, des intrigues, un climat et des personnages glauques, y compris les policiers qu’il est devenu de bon ton de faire douter de leur mission et de se sentir en empathie avec les coupables.
Comment résoudre le paradoxe Agatha Christie ? Celui d’une œuvre au succès prodigieux, qui compte chaque année des millions d’exemplaires vendus, portant témoignage d’un monde irrémédiablement disparu, qui n’a que très peu de points communs avec notre décadente mais très satisfaite époque ? Comment l’expliquez-vous ?
Camille Galic : Justement parce que beaucoup de gens sont exaspérés par l’inversion des valeurs, la décadence et le « relativisme » ambiant, la marchandisation généralisée, la sensiblerie dévoyée et la « dictature de l’émotion » imposée par les media, tous fléaux dénoncés avec vigueur par Christie dans plusieurs de ses romans les plus tardifs où elle exprime sans ambages son dégoût de l’époque. Avec Dame Agatha, ils retrouvent un cocon sans doute artificiel mais profondément rassurant où, sans jeu de mots, le blanc est blanc et le noir est noir.
Les ventes de ses livres ont quintuplé depuis 1980, preuve que des centaines de millions de bipèdes à travers le monde recherchent cette « valeur refuge ». Je trouve cette nostalgie d’un monde disparu plutôt sympathique. Et même encourageante pour l’avenir car peut-être porteuse d’un sursaut.
Propos recueillis par Pierre Saint-Servant
Crédit photo : LivingBorough via Wikipédia (cc).