Un jour un livre : Éduquer autrement. Le regard d’un père sur l’éducation de ses enfants

24 décembre 2013 | Culture, Société

24/12/2013 – 11h00
PARIS (NOVOpress) –
À l’occasion des fêtes de fin d’année, les rédacteurs de Novopress vous proposent de découvrir une sélection de livres à travers des extraits choisis. Dans une société qui saborde les principes même de structuration de l’individu, trouver des clés pour permettre aux jeunes européens de devenir des hommes libres est un enjeu de civilisation. Extrait tiré de l’ouvrage Éduquer autrement. Le regard d’un père sur l’éducation de ses enfants, de Pierre-Henri d’Argenson.


(…) Il ​est utile en revanche d’approfondir l’un des mécanismes collectifs les plus puissants à l’œuvre aujourd’hui dans la déstructuration de notre société, à savoir le consumérisme, que je définirais comme la réduction de toute activité humaine à sa fonction de consommation, et qui repose sur la déstructuration de l’individu. La société de consommation complique sérieusement le travail mené par les parents pour structurer leurs enfants, parce qu’elle agit à la manière d’un monde pulsionnel qui aurait été projeté dans tout l’espace au lieu de rester confiner dans l’inconscient : tous les enfants que l’on n’a pu doter de barrières intérieures ou de filtres sont littéralement happés, dévorés par cet univers pulsionnel, qui en fera parfois à vie, des automates incapables d’exister autrement que par le geste consommateur. Mais des hommes libres, certainement pas.

Un jour un livre : Éduquer autrement. Le regard d'un père sur l'éducation de ses enfants

Un jour un livre : Éduquer autrement. Le regard d’un père sur l’éducation de ses enfants

Examinons en quoi les principes qui sous-tendent le message consumériste se nourrissent de la déstructuration :
le principe de distraction : c’est le principe de l’attraction naturelle (et même physiologique) de l’esprit humain pour la nouveauté, en l’espèce la nouveauté permanente des produits de consommation courante. Une personne structurée qui n’a pas besoin de noyer son angoisse dans le renouvellement continu de ses centres d’attention (pour se distraire de son angoisse c’est à dire l’affrontement avec la finitude) est un mauvais client.
le principe d’insuffisance : la plupart des messages publicitaires pour nous convaincre d’acheter le produit vanté, soulignent nos imperfections, manquements, défauts, faiblesses, auxquels le produit en question est censé remédier. Une personne bien dans son corps et acceptant ses propres insuffisances parce qu’elle a construit son identité affective et n’est pas dépendante psychologiquement du regard des autres, est également un très mauvais client.
le principe de jouissance, fondé sur l’idée que le désir est un droit qu’il serait criminel et imbécile de ne pas satisfaire. Si toute éducation tempère spontanément le principe de jouissance, ce n’est pas avant tout par moralisme, religieux ou non, mais pour inscrire ce principe dans sa dimension relationnelle altruiste, civique, selon l’idée que la jouissance complètement égoïste se fait toujours au dépend de l’Autre. (…)
l’exaltation des instincts, dont les publicités pour automobiles sont les meilleures représentantes : mise en scène des fantasmes de toute puissance virile et sexuelle, de l’égo, de la vanité, etc.
l’exaltation des pulsions, rendue possible par la profusion d’objets que l’on peut obtenir rien qu’en tendant littéralement la main, et par la mise à disposition de services que l’on peut s’offrir sans délais grâce à la carte de paiement qui a supprimé toute forme de réflexion, d’attente, de maturation de ses envies et de ses projets.
– pour finir, le chantage affectif ou l’exploitation de la faiblesse affective, que j’ai déjà evoqués, soit directs (on s’adresse au consommateur, dans le meilleur des cas, en lui montrant une banquière câline, un conseiller de clientèle qui est votre meilleur copain, un monteur de pare-brise super sympa, dans le pire en vous faisant passer pour un abruti en puissance), soit indirects (achetez mon produit pour vous faire aimer de vos enfants, de votre conjoint, de votre chat).

Ces différents leviers du message consumériste sont particulièrement nuisibles pour les enfants, parce que ces derniers ne disposent pas des capacités d’analyse nécessaires pour décrypter les manœuvres dont ils sont l’objet, sans parler de celle qui surplombe toutes les autres, à savoir l’incroyable degré de crétinerie qui nous est déversée quotidiennement par les médias, en particulier Internet et la télévision, et qui, sans éducation appropriée, agit comme un opium anesthésiant au service de la consommation, pour les adultes comme pour les enfants. (…)

La société de consommation joue également un rôle puissant d’abraseur du lien social et identitaire, en coupant les individus et les familles de la culture et l’identité française, et en privant par la même les enfants de leur insertion dans une histoire collective. Elle transforme peu à peu la société en conglomérat de petites cellules isolées, qui ne se retrouvent plus qu’en faisant leurs courses.

Pierre-Henri d’Argenson, Éduquer autrement. Le regard d’un père sur l’éducation de ses enfants. L’œuvre éditions, septembre 2012. Acheter sur Amazon. Ancien élève de l’ENA, Pierre-Henri d’Argenson est haut fonctionnaire. Passionné par les questions d’éducation, il a enseigné à Sciences-Po et à l’École militaire. Éduquer autrement est son premier ouvrage publié.

Crédit photo : thegoodbyeletter via Flickr (cc)

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