[Tribune libre] Frédéric Saint-Geours, « socialiste d’affaires » – Par Paul Le Guern

27 avril 2013 | Économie, Politique, Société

La dépense publique (Etat + Collectivités territoriales + Sécurité sociale) se résume en deux chiffres : 1.100 milliards d’euros, soit 56,3% du PIB en 2012. Les néolibéraux ont leur petite idée pour remettre la France sur pied : il suffit de diminuer la dépense publique et le malade sera guéri. Sur ce point il est vrai qu’en Europe, la France fait la course en tête après le Danemark et la Suède.

Le dernier à avoir rejoint la cohorte des frères prêcheurs « anti dépense publique » s’appelle Frédéric Saint-Geours (photo), président de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie), directeur des marques chez PSA et candidat malheureux à la succession de Laurence Parisot à la présidence du Medef – il a été battu par Pierre Gattaz, le patron de Radiall, une entreprise de composants électroniques. La recette de M. Saint-Geours a le mérite d’être chiffrée. Dans la « sphère publique », il propose de réduire de « 100 milliards d’euros les dépenses pour restaurer l’équilibre budgétaire et alléger le poids des cotisations sociales sans augmenter les prélèvements obligatoires, qui ont atteint un niveau record ». L’affaire lui semble aisée puisque « 100 milliards sur les 1.000 de dépense par an, c’est 10% d’économies » (Le Figaro Economie, 05/04/2013).

Outre le fait que l’Etat et les entreprises ne fonctionnent pas avec le même logiciel et ne poursuivent pas les mêmes objectifs, il apparait difficile d’envisager une réduction de la dépense publique à hauteur de 100 milliards d’euros alors que la situation économique et sociale se déglingue chaque jour un peu plus. Il ne faut pas oublier que la dépense publique contribue à alimenter le peu de croissance qui subsiste. (0,1% en 2013).

Mais puisque M. Saint-Geours semble particulièrement tenir à cette réduction de 100 milliards, une première suggestion s’impose : supprimer les achats de véhicules automobiles ; les armées, la police, la gendarmerie, la Poste, etc. pourraient très bien envisager de ne plus acheter de véhicules neufs pendant plusieurs années, mesure qui affecterait évidemment PSA : pour satisfaire M. Saint-Geours, l’Etat et les collectivités territoriales feraient l’impasse sur les Peugeot et les Citroën ! A coup sûr, lorsque l’intéressé parle de réduction de la dépense, il ne songe pas à la réduction des commandes publiques effectuées auprès de Peugeot et de Citroën. Tout sauf ça !

Seconde suggestion à « Monsieur 100 milliards d’euros », la diminution – ou carrément la suppression  – des aides aux entreprises. « Côté dépenses, environ 60 milliards d’euros d’aides, émanant souvent de collectivités locales. Côté non-recettes, les allégements de cotisations sociales, le crédit d’impôt recherche ou encore le nouveau crédit d’impôt compétitivité emploi, qui pèsent aussi 60 milliards », croit savoir Philippe Askenazy, directeur de recherches au CNRS, professeur à l’économie de Paris (Le Monde Eco & entreprise, 05/03/2013). Voilà un aspect des choses auquel Frédéric Saint-Geours n’avait pas songé. Dommage car il y a 120 milliards d’euros à récupérer. Ainsi le mur des 100 milliards auquel rêve ce dernier serait enfoncé. Son vœu exaucé. Mais les patrons du Medef pourraient trouver à redire…

Une fois cette contribution à la réflexion apportée à la réflexion de M. Saint-Geours, il y a lieu de jeter un coup d’œil à la carte de visite du personnage, ne serait-ce que pour mieux le cerner. Cet énarque appartient au Parti socialiste depuis 1974. Entré au ministère de l’Economie et des Finances à la direction de la prévision, il fut ensuite affecté à l’Inspection générale des finances de 1979 à juin 1981. Il devint alors conseiller technique de Louis Mermaz, ministre de l’Equipement et des Transports, puis le suivit à la présidence de l’Assemblée nationale (juillet 1981 – avril 1984). Directeur de cabinet d’Henri Emmanuelli, secrétaire d’Etat au Budget, puis sous-directeur à l’administration centrale du ministère de l’Economie, en août 1985 ; il rejoint en septembre 1986, suite au changement de majorité, le groupe PSA.

Au journaliste du Figaro Economie qui lui posait la bonne question : « Un président du Medef peut-il avoir été directeur de cabinet d’un ministre de gauche ? », il répondra élégamment : « C’était entre 1984 et 1986, auprès d’Henri Emmanuelli, au ministère du Budget. Il s’agissait de mettre en œuvre une politique de rigueur et nous avons baissé le déficit budgétaire et fait cesser l’inflation chronique. » (05/04/2013). Dans les années 1980, la gauche au pouvoir faisait déjà dans la « rigueur ».

Pour la classe ouvrière, Frédéric Saint-Geours n’est pas un inconnu, à défaut d’être un bienfaiteur, puisqu’avec le staff de PSA, il est à l’origine de la suppression de 8.000 emplois dans le groupe et de la fermeture de l’usine d’Aulnay en 2014. Notons que les Bretons peuvent également le remercier pour ce plan social qui entraînera la disparition de 1.400 emplois sur 5.400 à La Janais (Chartres-de-Bretagne). Même s’il a été finalement écarté,M. Saint-Geours possédait donc toutes les qualités requises pour diriger le Medef.

D’autant plus que, comme tous les grands patrons, il sait à quelle porte frapper lorsque les choses vont mal. L’article 85 de la loi de finances rectificative pour 2012 (samedi 29 décembre 2012) nous donne un aperçu de la générosité de la puissance publique envers PSA : « Le ministre de l’Economie est autorisé à accorder à titre onéreux la garantie de l’Etat aux titres de créance émis entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2016 par la société Banque PSA finance, filiale de la société Peugeot S.A. Cette garantie porte sur le principal, les intérêts, frais et accessoires des titres de créance garantis et est accordée pour un encours en principal d’un montant total maximal de 7 milliards d’euros. »

Il est probable que ce « socialiste d’affaires » connaisse parfaitement la devise des libéraux : « Nationalisons les pertes et privatisons les profits ».

Paul Le Guern

Crédit photo : Medef/Wikimedia (cc)

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