19/03/2013 – 09h30
PARIS (NOVOpress) – L’Église catholique s’est longtemps fait gloire de parler, comme disait Bossuet, « sans embarras et sans équivoques ». « C’est pourquoi », l’évêque de Meaux le pose comme un principe en ouverture de son Histoire des variations des Eglises protestantes, « tout ce qui varie, tout ce qui se charge de termes douteux et enveloppés a toujours paru suspect, et non seulement frauduleux, mais encore absolument faux, parce qu’il marque un embarras que la vérité ne connaît point ».
Sacrements valides et sacrements licites
Pour éviter toute équivoque, la théologie catholique a un vocabulaire qui lui est propre et où chaque terme a un sens net et précis. S’agissant des sacrements, elle distingue deux notions : la validité et la licéité. Un sacrement est valide lorsqu’il présente les conditions essentielles (matière, forme, ministre, intention) pour produire son effet. Il est de surcroît licite lorsque sont respectées toutes les règles transmises par la tradition et codifiées par l’Église. Ainsi, pour célébrer la messe de manière licite, le prêtre doit être en état de grâce et à jeun. Il doit, sauf circonstances exceptionnelles, être revêtu des ornements sacrés, avoir un calice avec sa patène et un missel, célébrer dans une église ou un oratoire approuvé par l’ordinaire. Il est nécessaire que l’autel soit consacré et convenablement orné, avec une croix et des chandeliers ; il faut en outre un servant de messe et, en général, tout ce qui est prescrit dans les rubriques du missel. Si un prêtre, sans avoir revêtu les ornements, sans employer aucune cérémonie ni aucune prière, avec cependant l’intention de faire ce que fait l’Église, prononce les paroles de la consécration sur du pain et du vin placés sur une simple table, la plupart des théologiens considèrent que la consécration est illicite mais valide (voir par exemple Benoît XIV, De sacrosancto Missae sacrificio, l. 3, c. 13).
Un sacrement peut donc être valide et licite, valide mais illicite, invalide et illicite à la fois. Dans quelle catégorie ranger la nouvelle messe (ou messe de Paul VI) ? On ne parle pas, bien entendu, des célébrations improvisées dans la plupart des paroisses françaises, à partir de traductions plus ou moins fantaisistes du nouveau missel, entrelardées de définitions de l’eucharistie très souvent hétérodoxes et parfois même carrément zwingliennes, par des prêtres qui, sauf pour les plus âgés, ont été ordonnés selon le nouveau Pontifical romain de Paul VI et, qui plus est, par des évêques consacrés selon le nouveau rite de consécration épiscopale : accumulation de motifs potentiels d’invalidité qui doit conduire à regarder toutes ces messes au minimum comme douteuses. On parle d’une messe célébrée selon le texte authentique latin du nouveau missel, par un prêtre validement ordonné et ayant l’intention requise pour consacrer. L’opinion qui paraît la plus solide est que cette messe est valide mais illicite, au moins par omission des cérémonies et prières traditionnelles. C’est en tout cas dans ces termes que toute discussion sérieuse doit être conduite. Aussi le protocole d’accord signé par Mgr Lefebvre en mai 1988, au terme de ses discussions avec celui qui était alors le cardinal Ratzinger, portait-il, en toute clarté : « Nous déclarons reconnaître la validité du sacrifice de la Messe et des sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Église et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du missel romain et des rituels des sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II ».
La nouvelle invention des sacrements légitimes
Je mets en fait – et j’ai vérifié entre autres dans la Library of Latin Texts, la plus grande base de données des textes latins –, qu’aucun théologien catholique, aucun docteur, aucun Père de l’Église n’a jamais parlé de « sacrements légitimes » ou de « messe légitime » (1). Le mot « légitime » n’est employé en théologie sacramentaire qu’à propos du ministre : le ministre légitime de l’eucharistie est le seul prêtre, c’est-à-dire que seul un prêtre peut consacrer l’eucharistie. On en revient, on le voit, à la validité : un ministre légitime est une des conditions pour la validité du sacrement.
Les théologiens protestants parlent de l’« administration légitime des sacrements », dont ils font, à la suite de Calvin, une marque (une « note ») de la vraie Église : beaucoup d’auteurs catholiques, depuis le XVIe siècle, ont cité l’expression, mais seulement pour discuter, et réfuter, cette théorie. L’«administration légitime des sacrements », de toute façon, est autre chose que leur légitimité, et on sait que Calvin entend par « sacrements » tout autre chose que les sacrements catholiques.
La « légitimité des sacrements » et, au premier chef, de la nouvelle messe est apparue à partir de 2007, dans une polémique interne au milieu traditionaliste français, entre « ralliés » à Rome et fidèles de la Fraternité Saint-Pie X. Ceux à qui cette malheureuse expression avait échappé ayant mis un point d’honneur à la défendre, elle y a gagné une petite vogue, comme on le vérifie aisément sur Google. L’instruction Universae Ecclesiae publiée en avril 2011 par la commission Ecclesia Dei, sur l’application du motu proprio Summorum Pontificum, a repris la formule, de manière négative, en stipulant que « les fidèles qui demandent la célébration de la forme extraordinaire ne doivent jamais venir en aide ou appartenir à des groupes qui nient la validité ou la légitimité du sacrifice de la sainte Messe ou des sacrements (validitatem vel legitimitatem Sanctae Missae Sacrificii et Sacramentorum) célébrés selon la forme ordinaire » : se trouvent ainsi associés, de manière inouïe, une notion théologique bien précise, la validité, et le terme vague et équivoque de légitimité (2).
Légitime et légal
Pinaillage, diront certains, querelles de mots, fétichisme verbal. Mais il se joue là une question fondamentale. « Légitime », comme le latin legitimus, est parfois employé comme simple synonyme de légal (« qui est conforme au droit positif »). Mais, en français surtout, les deux termes sont très loin de se superposer. En France, depuis 1789, la distinction entre légitime et légal est au cœur de la pensée contre-révolutionnaire. Bonald a particulièrement appuyé sur ce point : « Cette distinction de légitime et de légal est d’une haute importance, et résout de grandes difficultés » (Législation primitive). « Ainsi, l’indissolubilité du mariage est l’état légitime de la société domestique. Le mariage dissoluble par la loi est un état légal » (Pensées). « Parlez donc à des hommes raisonnables, à des chrétiens, d’ordre légitime qui ne s’applique qu’à des lois justes, sages, naturelles, et non d’ordre légal qui s’applique ou peut s’appliquer à toutes les lois, même les plus absurdes. L’ordre légal est de l’homme ; l’ordre légitime est de la nature, ou plutôt de son auteur. Et peut-être les connaissances philosophiques de nos libéraux ne vont-elles pas jusqu’à savoir que deux mots expriment deux idées » (De la loi sur l’organisation des corps administratifs par voie d’élection). On prendra garde – car certains voudront sûrement, à ce stade, faire surgir le spectre du sédévacantisme –, que ce dernier texte date de la Restauration, c’est-à-dire d’un régime que Bonald reconnaissait comme indiscutablement légitime. La distinction de l’ordre légal et de l’ordre légitime est en soi indépendante du problème de la légitimité du souverain, même si, dans les faits, l’illégitimité du législateur peut s’ajouter à celle de la loi.
Cette distinction est plus que jamais nécessaire aujourd’hui, puisqu’elle donne la clef de la question des questions. Le grand remplacement s’effectue très largement par des moyens légaux : le regroupement familial est légal, les naturalisations sont légales, le droit du sol est légal. Il n’est pas jusqu’aux clandestins qui ne finissent à peu près tous par obtenir leur régularisation, avec l’aide d’associations non seulement légales, mais subventionnées par la République. Est-ce à dire que tout cela, c’est-à-dire, en dernière analyse, le génocide effectif et littéral des Français de sang, soit légitime ?
Le grand remplacement liturgique
On ne lit donc pas sans effarement, dans le préambule doctrinal signé par Mgr Fellay, au nom de la Fraternité Saint-Pie X, le 15 avril 2012, et récemment publié, la clause suivante : « Nous déclarons reconnaître la validité du sacrifice de la Messe et des sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise selon les rites indiqués dans les éditions typiques du missel romain et des rituels des sacrements légitimement promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II ». On devine, sans doute, ce qui a dû se passer, sachant que ce préambule correspond à un texte romain dans lequel Mgr Fellay avait la faculté d’introduire de légères modifications. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi avait préparé un texte qui parlait de « reconnaître la validité et la légitimité » de la nouvelle messe ; Mgr Fellay et ses conseillers n’ont pas voulu du terme de « légitimité » ; n’osant le biffer purement et simplement, ils ont cru habile de le déplacer pour le faire porter, non plus sur la messe elle-même, mais sur sa promulgation.
C’était tomber de Charybde en Scylla. Quoi qu’il en soit des intentions de Mgr Fellay, il est évident, en bon français et en bonne logique, que « légitimement » ici signifie autre chose, et beaucoup plus, que « légalement ». Il ne s’agit pas de savoir si la nouvelle messe fut promulguée suivant les formes canoniques – ce qui, au moins dans le cas de Paul VI, est très douteux. C’est là une question de pur fait qui ne saurait faire l’objet d’une profession de foi. Si l’on n’avait à reprocher à la nouvelle messe que de possibles manquements aux formalités canoniques en 1969-1970, ceux-ci seraient couverts par la promulgation de la nouvelle édition typique par Jean-Paul II ou, tout simplement, par la prescription.
« Légitimement » ne peut concerner que l’acte même de la promulgation. Or rien ne fut plus manifestement illégitime, puisque cette promulgation de la nouvelle messe était indissociablement interdiction de la messe traditionnelle. Paul VI l’affirma expressément, dans son fameux discours consistorial du 24 mai 1976 : Novus Ordo promulgatus est, ut in locum veteris substitueretur : « Le nouvel Ordo a été promulgué pour prendre la place de l’ancien ». Il ne s’agit donc pas de la nouvelle messe en tant que telle, il ne s’agit pas même de la nouvelle messe comparée à l’ancienne, il s’agit de l’arbitraire par lequel le pape prétendit abolir dans toute l’Église la liturgie traditionnelle. Que Benoît XVI ait finalement reconnu, en 2007, que celle-ci n’avait jamais été « juridiquement abrogée », voilà qui n’efface en rien, qui accuse au contraire, l’illégitimité radicale de l’acte posé par son prédécesseur.
L’acte de Paul VI ne peut, en outre, être jugé indépendamment de ses suites, en France en particulier : la persécution des prêtres fidèles, leur expulsion des lieux de culte, le remplacement de la musique sacrée et des vieux cantiques par de misérables ritournelles, la hideur, la vulgarité, le sacrilège érigés en vertus, un vandalisme jamais vu depuis la Révolution, un iconoclasme jamais vu depuis les guerres de religion, autant de suites de la promulgation du nouveau missel, désastreuses d’un point de vue patrimonial aussi bien que religieux, qui furent toujours tolérées et, le plus souvent, commandées et voulues par les autorités ecclésiastiques. Croyant ou non, il suffit d’entrer dans n’importe quelle cathédrale ou n’importe quelle église de campagne « adaptée » au rite de Paul VI, et d’y voir le nouvel autel face au peuple, pour constater que la nouvelle liturgie n’est pas à sa place, qu’elle constitue une intrusion violente dans des sanctuaires pensés et bâtis pour un autre culte. « Si ceux-ci se taisent, les pierres même crieront ».
La nouvelle messe, en un mot, est l’exact analogue, dans son ordre, de la substitution de population par la déferlante migratoire. Est-ce pure coïncidence, du reste, si son imposition brutale dans toutes les églises de France eut lieu dans les mêmes années où commença, sur notre terre, la grande immigration de peuplement depuis l’Afrique ? Est-ce coïncidence si les prêtres qui célèbrent la nouvelle messe sont tous immigrationnistes – et, en règle générale, d’autant plus frénétiquement immigrationnistes que leur manière de célébrer s’écarte davantage de la liturgie traditionnelle ? Est-ce coïncidence si la même espèce bien reconnaissable de catholiques bourgeois et vieillissants se retrouve à la fois dans les « eucharisties » dominicales et dans les « cercles du silence » pour les clandestins ? Comme les « nouveaux Français » forment l’anti-peuple d’une anti-France (au sens d’anti en grec, à la place de), la nouvelle messe est l’anti-liturgie d’une anti-religion : un grand remplacement peut-être légal, mais que rien – pas même le fait que nous ayons désormais, pour la première fois, un pape qui n’a jamais dit d’autre messe –, ne pourra rendre légitime.
Flavien Blanchon pour Novopress
(1) L’expression sacramenta legitima apparaît dans une lettre d’Yves de Chartres, mais c’est qu’il prend sacramentum au sens de serment, comme en latin classique : rien à voir avec les sacrements chrétiens.
(2) Il n’y avait rien de tel dans Summorum Pontificum, seul document à engager véritablement l’autorité du magistère. La lettre d’accompagnement alors envoyée par Benoît XVI aux évêques parlait, quant à elle, de reconnaître « la valeur et la sainteté » du nouveau rite, termes à la fois parfaitement clairs et parfaitement traditionnels (sanctitas sacramenti se trouve dans un texte célèbre de saint Augustin, et valor sacramenti est on ne peut plus courant chez les théologiens). On peut, en conscience, s’y refuser, mais il n’y a aucune ambiguïté.
Crédit photo : Joachim Specht, via Wikipédia, domaine public.