Ci-dessus : affiche de l’UDC pendant la campagne pour ce référendum.
Le gouvernement suisse se réfugie derrière des réglementations internationales pour refuser d’expulser les criminels étrangers, mesure votée par référendum [le terme suisse est “votation”] en 2010. L’UDC, parti populiste suisse, veut obliger le Conseil fédéral et le Parlement à respecter la loi. [Note de Novopress : la loi suisse prévoit que le résultat d’une votation est contraignant, les autorités étant dans l’obligation d’appliquer le résultat du vote.]
Un gouvernement démocratique peut-il s’asseoir sans vergogne sur une décision populaire exprimée par référendum ? C’est à ce délicat problème de droit qu’est confronté le Conseil fédéral suisse, qui, sous prétexte de se conformer à des normes européennes laxistes, voudrait bien ignorer le résultat souverain de la votation sur l’expulsion des criminels étrangers, que 53 % des Suisses ont eu l’idée saugrenue d’approuver fin 2010…
L’Union démocratique du centre (UDC), parti populiste suisse, qui était à l’origine du référendum, ne l’entend pas de cette oreille et maintient la pression. Le parti vient de déposer une deuxième initiative sur le sujet, avec un succès qui a surpris la classe politique helvétique: alors qu’il avait deux ans pour trouver seulement 100000 signatures, le parti en a récolté 154982 en cinq mois! But de l’opération : éviter que le Conseil fédéral et le Parlement « oublient » d’appliquer la loi.
Tolérance zéro pour les étrangers voyous !
Cette deuxième initiative, intitulée « pour le renvoi effectif des étrangers criminels (mise en œuvre) », se veut un mode d’emploi pour mettre en pratique le premier texte. Très précise et détaillée, elle ne laissera plus la moindre marge de manœuvre au parlement si elle est acceptée et sera probablement directement applicable par les tribunaux.
Les ressortissants étrangers condamnés pour un crime ou une infraction grave seraient systématiquement renvoyés dans leur pays. Le renvoi frapperait aussi « les délinquants notoires et incorrigibles, qui commettent à plusieurs reprises des délits affectant gravement l’ordre et la sécurité publics (menaces contre les autorités, rixes, lésions corporelles simples) ». Ceux qui ont déjà un casier judiciaire et qui seraient à nouveau condamnés, même pour une infraction de moindre gravité seraient eux aussi expulsés.
Avec un sens de la mesure tout helvétique, l’expulsion ne serait évidemment pas prononcée si l’acte a été commis « en état de défense ou de nécessité excusable ». Pour pallier toute « défaillance » gouvernementale ou tentative de détournement, l’initiative précise en revanche que son contenu « prime sur les normes du droit international, qui ne sont pas impératives ».
Les normes impératives en question sont, elles, explicitement citées et concernent le renvoi vers les pays présentant des risques de torture, génocide, guerre ou esclavage.
Pour faire traîner les choses et trouver une éventuelle échappatoire, le Conseil fédéral a mis en consultation deux variantes d’application de l’initiative votée en 2010. La première, qu’il privilégie, prévoit une expulsion automatique pour les délits sanctionnés par une peine de plus de six mois. Il peut s’agir d’un délit sexuel grave, d’un acte de violence ou d’autres crimes contre le patrimoine. Les abus aux assurances sociales ont aussi été retenus – on est en Suisse ! En revanche, « les délinquants itinérants ou récidivistes » pourraient n’être expulsés que pour cinq ans en cas de condamnation à une peine légère. Et le renvoi ne s’appliquerait tout simplement pas aux « petits » délinquants ou « primodélinquants ». Dans le même esprit, le Conseil fédéral prévoit une multiplicité d’exceptions pour les crimes et délits plus graves, rendant à peu près inopérant un projet voulant sérieusement endiguer la criminalité.
Et après, on régule les demandes d’asile !
La seconde variante, plus proche des exigences de l’UDC, prévoit une liste d’infractions passibles du renvoi, comme le meurtre, le viol, le brigandage ou le trafic de drogue. Mais, de l’aveu même des parlementaires qui l’ont visiblement élaborée comme un faire-valoir, cette seconde variante « pose problème pour l’accord sur la libre circulation des personnes ».
Pour le parlementaire UDC Yvan Perrin, tout cela n’est qu’une mascarade: « Ce qu’on voit venir du Conseil fédéral, c’est le contre-projet laxiste refusé par le peuple en 2010. »
Car à l’époque, l’initiative UDC fut en effet opposée à un contreprojet gouvernemental, compatible, lui, avec les normes européennes, mais nettement rejeté par les votants – aucun canton ne l’a accepté! L’UDC s’oppose donc fermement à ce que, au final, ce contre-projet, comme le dit Perrin en riant, « après avoir été chassé par la porte, tente de rentrer par la fenêtre ».
Toni Brunner (ci-contre), président de l’UDC, lui, est remonté comme une pendule suisse: « Le Parlement est averti, s’il ne suit pas les requêtes du premier texte, la deuxième initiative sera maintenue et le peuple aura le dernier mot! Une telle sanction pourrait avoir de graves conséquences pour l’équilibre politique et le consensus suisse. »
Et de fustiger leur Christiane Taubira à eux, le ministre de la Justice Simonetta Sommaruga, accusée de rester « les bras croisés »: « J’en veux pour preuve que le Parlement n’a pas encore été saisi pour mettre la loi en application. »
Il n’empêche, Toni Brunner déclare déjà réfléchir au lancement d’une nouvelle initiative sur l’asile: « Elle concernerait le transfert des étrangers demandeurs d’asile dans des centres de prise en charge fermés. Les requérants ne pourraient quitter ces en droits que si on les y autorise. Il en découlerait davantage de contrôle et de disponibilité pour les clarifications de situations parfois emberlificotées. »
Accusé de mépriser les droits de l’homme par les belles âmes, Brunner ne se laisse pas démonter : « Pour quelqu’un qui a besoin de protection, un centre fermé est préférable à n’importe quoi d’autre: il y est en sécurité. En outre, cela aura le mérite de limiter les déclarations farfelues ou imprécises que font parfois certains requérants, car on sait que la disposition à coopérer est plus élevée dans ces centres. »
L’UDC envisagerait aussi de lancer une initiative pour sauver le secret bancaire. Ce dernier devrait être ancré dans la Constitution, selon le parti. Pas sûr qu’il faille s’y reprendre à dix fois, cette fois, pour que le gouvernement fasse appliquer la loi !
Patrick Cousteau
Article de l’hebdomadaire “Minute” du 15 janvier 2013 reproduit avec son aimable autorisation. Minute disponible en kiosque ou sur Internet.