30/11/2012 — 18h00
PARIS (NOVOpress Breizh) — Le rétropédalage constitue un des arts majeurs de la politique. C’est à leur capacité de manier cette technique avec bonheur que l’on reconnait les grands fauves de la politique. Une affirmation péremptoire le lundi – avec coup de menton à l’appui – suivie par des propos moins assurés le samedi : on commence à flancher. Mais quelquefois on fait plus court, MM. Hollande et Ayrault viennent de nous montrer qu’ils savaient utiliser les raccourcis.
Le dossier très embarrassant pour le pouvoir de Notre-Dame-des-Landes vient de nous donner une application concrète de cette méthode qui gagnerait à être enseignée à Science-Po et à l’ENA.
Vendredi 16 novembre 2012
En déplacement à Varsovie, François Hollande déclare : « Je respecte le droit de manifester mais, en même temps, il y a aussi la force du droit et la primauté de la volonté, non seulement de l’Etat, mais aussi des élus, au-delà même des alternances politiques. »
Le président de la République vient au secours de son Premier ministre qui s’embourbe à Notre-Dame-des-Landes. Un premier élément de langage apparaît : « La force du droit ». Derrière le substantif « droit » se dissimulent les milieux d’affaires nantais, les entreprises du BTP, donc les partis de gouvernement (PS et UMP).
Dimanche 18 novembre 2012
« Cet aéroport est en projet depuis très longtemps, le débat public a eu lieu depuis 2003, donc tout le monde a été entendu. Il a été déclaré d’utilité publique. Donc force à la loi », explique Najat Vallaud-Belkassem (photo ci-dessus), porte-parole du Gouvernement.
Cet argument peut impressionner les élus qui ont toujours peur de leur ombre, mais certainement pas les paysans que l’on exproprie. L’élément de langage qui sera désormais en vigueur se précise : « Force à la loi ».
Jeudi 22 novembre 2012
(Entretien accordé à Paris-Match) A la question « malgré les résistances, Notre-Dame-des-Landes se fera ? », Jean-Marc Ayrault répond : « Nous sommes dans un Etat de droit. Quand les décisions sont prises, quand les recours sont épuisés, la loi doit être respectée. Notre-Dame-des-Landes est un projet d’intérêt général et pas un projet personnel. Cet aéroport se fera. »
En affirmant que « cet aéroport se fera », Jean-Marc Ayrault prend des risques. En Bretagne, d’autres grands projets ont fini aux oubliettes : la centrale nucléaire de Plogoff et celle de Cordemais. Le très chrétien Ayrault a forcément lu saint Thomas d’Aquin : « La résistance est légitime face à l’oppression ».
Vendredi 23 novembre 2012
En déplacement à Lorient, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, déclare : « Hors de question de laisser un kyste se mettre en place, de façon durable, avec la volonté de nuire et des moyens parfois dangereux. » Il assure qu’il mettra « tout en œuvre pour que les travaux puissent avoir lieu. L’Etat de droit, ce n’est pas l’Etat de faiblesse. L’Etat de droit, c’est le respect des décisions de justice ».
Le « kyste » de NDDL apparait bien mince comparé à ceux de Marseille, de la Corse, des banlieues… S’il veut s’attaquer à tous les « kystes » qui affectent la République française, Manuel Valls a du pain sur la planche. Un travail de titan.
Vendredi 23 novembre 2012.
En déplacement à Nantes, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture et proche de François Hollande, déclare : « L’aéroport est un projet d’intérêt général pour l’aménagement du Grand Ouest soutenu par les régions Pays de la Loire et Bretagne. Les concertations ont eu lieu. On arrive au bout de la procédure. Une décision a été prise. Et il faut la mettre en œuvre. La loi s’appliquera. »
Curieux ce ministre de l’Agriculture qui ne trouve rien à redire au fait que 1.500 hectares de bocages et 40 fermes sont condamnés à disparaître avec le projet d’aéroport. On ne peut pas dire qu’il défend les intérêts de la profession agricole ; une mutation au ministère de l’Equipement (goudron + béton) s’impose.
Samedi 24 novembre 2012 (après-midi)
Delphine Batho, ministre de l’Ecologie, Frédéric Cuvillier, ministre des Transports, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, confirment, dans un communiqué, « la nécessité de poursuivre le projet », tout en s’engageant en faveur « du respect de la biodiversité et de la préservation des terres agricoles ».
Un comité scientifique, composé « avec toutes les garanties d’indépendance et de transparence » sera constitué, « présidé par un expert scientifique ». C’est cette commission qui devra évaluer les mesures environnementales à mettre en œuvre par Vinci, le constructeur de l’aéroport.
Les trois ministres annoncent qu’aucune opération de « défrichement » ne sera réalisée « avant validation par un comité scientifique ». Les travaux sont donc reportés de six mois. Sur le fond du dossier, il s’agirait, selon Delphine Batho, d’aller « plus loin en termes de compensation écologique et sur la loi sur l’eau ». Sur les questions délicates du remplacement des zones humides qui seront détruites par le chantier du futur aéroport et de l’artificialisation des sols, la ministre évoque « un possible redimensionnement du projet ».
On sent du mou dans le genou du côté du Gouvernement. Pourquoi François Hollande qui fabrique des commissions sur tout et n’importe quoi n’a-t-il pas songé plus tôt à en créer une pour NDDL ? On verra plus tard si le principe édicté par Clemenceau s’applique au projet d’aéroport : « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission.»
Samedi 24 novembre 2012 (soir)
Dans un communiqué, le Premier ministre affirme : « Dans un souci d’apaisement, le Gouvernement confiera, dès la semaine prochaine, à une commission du dialogue le soin et d’entendre toutes les parties prenantes. » Il rappelle l’engagement du Gouvernement « à contribuer au développement économique du Grand Ouest » dont le projet d’aéroport est pour lui une composante.
Les éléments de langage anciens ont disparu. Plus question d’évoquer la « force du droit », la « force de la loi », l’« intérêt général », le « kyste »… De nouveaux apparaissent : « apaisement », « dialogue », « toutes les parties prenantes »… Qu’en pense Jacques Auxiette qui dénonçait quelques jours plus tôt « la dérive criminelle des opposants » ?
Dimanche 25 novembre 2012
« Il s’agira d’une commission d’informations partagées qui permettra au dialogue de se renouer dans de bonnes conditions », explique Najat Vallaud-Belkassem, promettant qu’il n’y aura « pas de reculade » sur ce dossier symbolique cher au Premier ministre, ancien maire de Nantes.
Les opposants au projet ont su créer un rapport de force qui leur était favorable. En sept jours, la porte-parole du Gouvernement est passée de la « force de la loi » aux « informations partagées ». Pourtant, en cette courte période, le Code pénal n’a pas été modifié… Quant aux « reculades », les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.
Paul Le Guern
Crédit photo : Benjamin Geminel via Wikimedia (cc).