Défaut de la Grèce : le contribuable paiera, par Paul le Guern

20 novembre 2012 | Économie, Europe

20/11/2012 — 14h00
ATHENES (NOVOpress Breizh) —
Il n’apparaît pas nécessaire d’appartenir à la famille des économistes distingués pour savoir qu’une monnaie est d’abord le reflet d’une économie. A économie forte, monnaie forte – le mark en Allemagne. A économie faible, monnaie faible – la drachme en Grèce. C’est ainsi que les choses fonctionnent habituellement, les échanges prennent en compte la compétitivité de chacun s’exprimant par le taux de change.

Avec l’introduction de l’euro et l’extension de la monnaie unique à des « petits pays » – comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande –, cette règle disparaissait. Tout le monde dans le même panier, l’Allemagne avec ses machines-outils et la Grèce avec son raisin de Corinthe. Autant dire que les avantages monétaires procurés à la  Grèce par l’euro (possibilité d’emprunter à des taux bas et fin de la spéculation) se trouvaient compensés – négativement – par des inconvénients d’ordre économique. Avec une monnaie forte, l’économie grecque perd toute compétitivité. D’autant plus que les outils monétaires traditionnels constitués par la dévaluation et l’inflation sont enlevés aux dix-sept membres de la zone euro.La BCE ne veut pas en entendre parler…

Dans les faits, l’euro représentait l’extension du mark aux autres pays européens. Le bon sens aurait voulu que les « petits » soient exclus de l’union monétaire. Mais la construction européenne repose sur des dogmes. Non seulement elle doit se réaliser à tout prix – le rêve de Jean Monnet -, mais encore la monnaie unique en constitue de ciment – à défaut de pouvoir réussir l’union politique. Que la banque américaine Goldman Sachs ait maquillé les comptes de la Grèce afin que celle-ci remplisse les conditions exigées (!?) pour entrer dans la zone euro, qu’importe ! L’essentiel est ailleurs pour les eurocrates : l’extension de l’Union européenne constitue un impératif idéologique : elle doit s’effectuer envers et contre tout.

Même si les transferts, subventions et prêts de la Communauté européenne à la Grèce représentaient 1,8 milliard de dollars par an entre 1981 et 1990, même si le pays d’Alexandre le Grand continue ensuite de bénéficier des fonds européens – politique dite de « cohésion » -, la situation financière va se dégrader lorsque la Grèce adopte l’euro (1er janvier 2002).

« Etouffée par l’euro cher et partant d’une base économique extrêmement faible en termes de compétitivité et d’activités exportatrices, l’économie grecque est incapable de vendre ses produits et ses services aux consommateurs extérieurs (…) Le cas grec montre bien que la valeur extérieure de la monnaie de la maison Europe, qui convient à une Allemagne qui l’impose aux autres partenaires (…) est totalement inadaptée à une économie aux caractéristiques très différentes, comme celle de la Grèce » (Jean-Jacques Rosa et Philippe Villin, Le Figaro 20/21/02/10).

D’où le premier plan de sauvetage accordé par le tandem Union européenne-FMI : 110 milliards d’euros (2 mai 2010). Comme cela ne suffit pas, un second est engagé : 130 milliards (9 mars 2012) ; originalité de celui-ci, les créanciers privés, c’est-à-dire les banques, acceptent d’effacer 105 milliards de la dette hellène, alors qu’ils détiennent 206 milliards d’obligations d’Etat.

Mais Bruxelles et Frankfort conditionnent le versement de ces aides à la mise en place d’une politique d’austérité. Si bien que ces fonds sont débloqués au fur et à mesure que les Grecs réalisent des « progrès » en matière d’austérité. Le dernier plan prévoit plus de 18 milliards d’euros de coupe budgétaires d’ici à 2016 et la mise en place de réformes structurelles pour déréglementer le marché du travail et éliminer les barrières à l’entrée de plusieurs professions. Le budget 2013 comprend ainsi plus de 9 milliards d’euros de mesures d’austérité (Le Monde, 06/11/12). C’est la condition exigée pour arracher une tranche de 31,5 milliards d’euros indispensables pour rembourser la BCE, recapitalisation des banques et assurer le paiement des salaires et des retraites des fonctionnaires (Les Echos, 13/11/12). Mais l’Allemagne, l’Autriche,la Finlande et les Pays-Bas traînent les pieds…

La troïka (FMI, BCE et Union européenne) estime maintenant que pour remettre le pays sur les rails, il convient de prolonger de deux ans le programme de redressement, ce qui se traduira par un besoin de financement supplémentaire de 32,6 milliards d’euros, dont 15 à trouver d’ici à la fin 2014 et 17,6 milliards pour 2015 et 2016. Dans ces conditions, imaginer qu’Athènes puisse revenir sur les marchés pour se financer relève du rêve.

D’autant plus que les résultats obtenus ne sont pas mirobolants. Plans d’aide et politique d’austérité ne permettent pas à la Grèce de remonter la pente. Mieux, la dette publique explose : 129% du PIB en 2009, année du déclenchement de la crise, 175% du PIB à la fin 2012. Selon la Commission européenne, elle devrait atteindre 185% du PIB en 2016. L’insolvabilité de la Grèce saute désormais aux yeux de chacun mais aucun de ses créanciers ne veut en tirer les conséquences (Les Echos, 13/11/12).

Si la Grèce fait faillite, ce ne sont pas les banques qui se trouveront en première ligne, mais les créanciers publics qui détiennent désormais près de 200 milliards de dette grecque : les Etats lui ont prêté en direct 53 milliards d’euros – en 2010-2011 – et 70 milliards via le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Le FMI lui a accordé 23 milliards d’euros de crédits et la BCE détient de son côté 45 milliards d’obligations souveraines acquises en 2010. Si une « restructuration » de la dette grecque était organisée aujourd’hui, les citoyens européens seraient mis à contribution (Les Echos, 06/11/12).

Lors de l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale (Tokyo, 9 au 13 octobre 2012), il a été question du devenir de la zone euro. Personne ne l’a dit, mais la Grèce est considérée par tous comme incapable de se redresser et de rembourser ses emprunts. On lui donnera du temps – « deux ans », a proposé Christine Lagarde, directrice générale du FMI -, mais personne ne veut plus lui prêter plus d’argent que ce qui lui a été promis. « Oui, dit un des décideurs de son sort, la Grèce fera défaut, mais personne n’en prendra la responsabilité. » (Le Monde, 18/10/12).

Si la Grèce faisait faillite, il en résulterait pour la France une perte « nette » de 50 milliards pour nos finances publiques. Le risque potentiel s’élève en réalité à 66,4 milliards d’euros su on prend en considération la totalité des circuits dans lesquels est impliqué l’Etat français (Le Figaro Economie, 21/05/12).

En 2010 les banques françaises et allemandes étaient fortement exposées à la dette grecque : 206 milliards de dollars selon la BRI. Depuis, elles ont su se désengager en revendant sur le marché secondaire – celui de la revente –  leurs emprunts d’Etat – rachetés immédiatement par la BCE. Mais elles ont tout de même laissé des plumes dans l’aventure grecque : trois milliards d’euros pour la BNP lors de l’« effacement » de mars 2012. En mai 2012, l’exposition de cette dernière à la dette grecque n’était plus que de 200 millions d’euros…

Paul le Guern

Crédit photo : Prométhée33 via Wikipédia (cc)

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