Par Édouard Tressalec, correspondant à Bruxelles pour Novopress sur les questions belges et bruxelloises. Crédit photo : mkhalili via Flickr via Flickr (cc)- revendications communautaires en mars 2010 à Bruxelles.
24/10/2012 – 20h45
BRUXELLES (NOVOpress) — Au soir du 14 octobre, dans la Maison communale de Saint-Josse-ten-Noode (27.548 hab.), les résultats électoraux tombent : Emir Kir, 1916 voix de préférence. Ses électeurs, essentiellement d’origine turque et marocaine, l’acclament en criant « Emir Kir, bourgmestre ! ». Le Secrétaire d’État régional, socialiste, d’origine turque, Emir Kir, devient ainsi le premier bourgmestre musulman de Bruxelles.
Emir Kir, premier bourgmestre musulman de Bruxelles
Le bourgmestre sortant, Jean Demannez, également socialiste, bougonne. Pour Emir Kir, gonflé à bloc par ses résultats, plus question d’attendre pour s’emparer du maïorat de Saint-Josse, selon un accord conclu précédemment avec le bourgmestre sortant. Il veut d’emblée être sacré « bourgmestre empêché », ce qui signifie que le titre bourgmestre lui serait accordé, mais qu’afin qu’il puisse continuer à exercer son mandat de Secrétaire d’État régional jusqu’en juin 2014, le bourgmestre sortant Demannez (1215 voix de préférence) occuperait encore le fauteuil maïoral durant dix-huit mois. Mais Demannez a finalement refusé de jouer les utilités et a claqué la porte. Rudi Vervoort, bourgmestre d’Evere et Président de la Fédération bruxelloise du PS, a demandé à Kir d’abandonner son mandat de Secrétaire d’État régional à la Propreté, mais a accepté qu’il devienne bourgmestre de Saint-Josse. Le nouveau bourgmestre de Saint-Josse fut soutenu durant la campagne par un autre socialiste d’origine turque, Resul Tapmaz, qui se présentait lui sur la liste SP.a, les socialistes flamands. Bruxelles acquiert ainsi son premier bourgmestre musulman.
Succès pour trois candidates voilées
Un autre membre de la famille Kir, à savoir Canan Kir, la cousine du nouveau bourgmestre de Saint-Josse, a défrayé la chronique électorale de cette année 2012. On se souvient qu’après avoir failli être recrutée par la NVA, elle s’était présentée, voilée, sur la liste des Bleus de Saint-Josse. Sa désastreuse campagne électorale, qui l’avait vue incapable de s’exprimer de manière satisfaisante dans l’une des deux langues officielles de Bruxelles, ne lui a finalement rapporté que 91 voix. Mais ceci n’a pas empêché trois autres candidates voilées de réaliser d’excellents scores électoraux. Ainsi Mahinur Özdemir, élue conseillère communale en 2006 et devenant, en 2009, la première femme voilée à siéger au Conseil régional bruxellois, se présentait sur la liste CDH de Schaerbeek sur laquelle, avec 1135 voix, elle a obtenu un meilleur score que la tête de liste, Denis Grimberghs. Ce score aurait dû lui permettre d’obtenir l’échevinat : impossible, dit-on au CDH, en raison de… son voile. Celui-ci n’avait pourtant pas gêné, jusqu’à ce jour, le parti de Joëlle Milquet, qui a soutenu Özdemir au Conseil régional bruxellois. Comprenne qui pourra. Toujours à Schaerbeek, mais sur la liste PS cette fois, Derya Alic réalise un meilleur score encore qu’Özdemir. Également élue conseillère communale en 2006, elle porte le foulard islamique, mais se dévoile lorsqu’elle siège au conseil communal. Avec 1234 voix, elle s’est classée sixième sur la liste PS de Schaerbeek. À Molenbeek, c’est Farida Tahar qui se présentait sur la liste de l’ex-bourgmestre PS Philippe Moureaux, en 28e position. Elle a remporté 601 voix, le dixième score de sa liste. Si les autres candidates voilées citées sont d’origine turque, Farida Tahar est, elle, d’origine marocaine. Elle a d’ores et déjà déclaré qu’elle siègerait voilée au conseil communal.
Deux élus pour le parti islamiste ISLAM
Le parti ISLAM se définit clairement comme un parti islamiste. Contrairement à la formation islamo-gauchiste Égalité qui, comme nous le verrons, s’est présentée dans huit communes bruxelloises, ISLAM a adopté une stratégie plus sobre en ne présentant que quatre candidats dans trois communes : Redouane Ahrouch (42 ans, Anderlecht), Lhoucine Aït Jeddig (50 ans, Molenbeek), Abdelhay Bakkali Tahiri (51 ans) et Zeynebe Bakkali Tahiri (Bruxelles-Ville). Ces deux derniers, qui ont obtenu respectivement 1144 et 733 voix, n’ont pu être élus. Par contre, avec Ahrouch (1446 voix et 4,13 %) et Aït Jeddig (1102 voix et 4,12 %), la liste ISLAM décroche deux conseillers communaux, Ahrouch à Anderlecht et Aït Jeddig à Molenbeek. Ces deux élus auraient reçu le soutien d’une partie de la communauté chiite (C. Torrekens).
Un collectif nommé Vigilance musulmane avait lancé un appel en faveur du vote blanc à Bruxelles et en Wallonie, dans une vraisemblable volonté de boycotter le système politique actuel jugé peu favorables à certaines revendications.
Redouane Ahrouch n’est pas un inconnu de la mouvance islamiste de Bruxelles. En 1999, il avait guidé le premier parti islamiste de Bruxelles, à savoir le parti Noor, dont le parti ISLAM est l’héritier (il en est, en fait, la troisième refondation). Interrogé à propos de la sharia, Ahrouch, qui définit son parti comme « belge, démocrate et musulman », a déclaré : « Comme je l’ai dit, je suis un démocrate et je suis contre son imposition à des gens qui n’en veulent pas. Sur le principe, je ne conteste pas la sharia. Si une majorité devait s’exprimer en sa faveur par référendum, alors pourquoi pas. Mais pour l’instant, il y aurait trop de mains coupées si nous devions suivre ses principes étant donné le nombre de délits commis dans notre ville. C’est pour cela que je prône le dialogue et surtout la prévention auprès des jeunes. » (« Je ne conteste pas la sharia », entretient de David Baudoux, Sudpresse, 16 octobre 2012). Tout commentaire serait superflu. Cette ascension d’ISLAM témoigne également de la croissance de trois revendications au sein de la communauté musulmane : repas halal, jours de congés islamiques et port du foulard.
La lente ascension du parti islamo-gauchiste Égalité
Le parti Égalité se présente comme une formation islamo-gauchiste, égalitariste, palestiniste et antisioniste. Il accueille dans ses rangs aussi bien des musulmans que des marxistes ou des anarchistes. Ce parti a présenté des listes dans pas moins de huit communes sur dix-neuf : Koekelberg (2,1 %), Anderlecht (1,86 %), Saint-Josse (1,80 %), Molenbeek (1,78 %), Saint-Gilles (1,18 %), Bruxelles-Ville (1,13 %), Schaerbeek (0,9 %) et Ixelles (0,89 %). Ces scores n’ont pas permis à Égalité d’obtenir un élu, peut-être du fait de la dispersion de ses forces, sans doute aussi du fait des succès électoraux de l’extrême-gauche (PTB+/PVDA) qui chasse sur les mêmes terres.
La montée en puissance des mosquées
Pour certains, seuls les votes pour des petites formations ethniquement ou religieusement ciblées devraient être considérés comme des « votes communautaires ». Le fait est que l’on peut distinguer quatre types de vote communautaire :
- Celui qui consiste à voter pour des candidats de souche jugés susceptibles de défendre les intérêts de la communauté à laquelle on appartient.
- Celui qui consiste à voter, sur des listes mixtes, pour des candidats issus de sa communauté, exclusivement et pour ce seul fait.
- Celui qui consiste à voter pour un parti exclusivement composé de membres de sa communauté.
- Celui qui consiste à voter « blanc » (en Belgique, le vote est obligatoire) sous-prétexte que l’on considère qu’aucun parti en lice n’est susceptible de défendre les intérêts de sa communauté.
Or, il a été fait usage, de ces quatre types de vote qui, totalisés, donne au vote communautaire une grande importance, particulièrement à Bruxelles, même si l’on peut considérer aussi que cela a contribué à la dispersion du vote musulman. En-dehors de la NVA et du PTB+/PVDA, on a entendu bien peu de cris de victoire au lendemain des élections communales de ce 14 octobre, y compris parmi les grands partis traditionnels dont on retient aujourd’hui surtout les bons scores des candidats allochtones, notamment musulmans. Et certaines mosquées ont vraisemblablement joué un rôle important dans ce succès. Ainsi, à la veille du scrutin, un SMS émanant desdites mosquées ont appelé à voter pour le PS, dans des communes où les élus d’origine marocaine sont effectivement très nombreux. Mme Corinne De Permentier, tête de liste MR à Forest, a ainsi reçu une copie de ce message dont la teneur était celle-ci : « Chers frères, chères sœurs, nous voterons ce week-end, Inch’Allah ! Soyons solidaires dans nos votes, soyons tous PS. Les autres partis comme le MR ou Ecolo ne se soucient pas de notre religion et lui causent parfois du tort. Exemple : port du voile à l’école, organisations d’événements… ». La suite de ce SMS invitait explicitement à voter pour des candidats d’origine marocaine sur la liste du parti socialiste (« De Permentier : « les mosquées ont aidé le PS à Forest et à Molenbeek » », LaLibre.be, 16 octobre 2012). Des candidats auraient ainsi aussi bénéficié du fait qu’ils vivent à proximité d’une mosquée ou qu’ils y ont fait tout simplement campagne (« À quand une bourgmestre belge voilée ? », Carte blanche de Corinne Torrekens, Le Soir, Mardi 16 octobre 2012). En outre, le nombre de votes blancs et nuls est en augmentation par rapport à 2006, particulièrement dans les communes où la population musulmane est importante. Un collectif nommé Vigilance musulmane avait lancé un appel en faveur du vote blanc à Bruxelles et en Wallonie, dans une vraisemblable volonté de boycotter le système politique actuel jugé peu favorables à certaines revendications.
La victoire du vote communautaire musulman
Dans la commune de Forest, 6 élus PS sur 14 sont d’origine marocaine. À Anderlecht, sur vingt élus de la liste PS, 13 sont des allochtones. À Saint-Josse-ten-Noode (commune d’élection d’Emir Kir), 12 des 15 élus PS sont d’origine étrangère, pour la plupart d’origine turque. À Koekelberg, le PS obtient 8 élus dont… 7 allochtones ! Sur la liste PS de Schaerbeek, sur les 13 élus, on compte 9 allochtones. Mais le PS n’a pas le monopole du vote allochtone, ainsi la liste du bourgmestre (FDF) Bernard Clerfayt, toujours à Schaerbeek, obtient 18 élus, dont neuf allochtones (« Le vote communautaire a battu des records », Dhnet.be, 16 octobre 2012). Ces résultats ajoutés au succès de certaines petites listes communautaires, dont ISLAM, et à l’augmentation du vote blanc, auquel ont appelé d’autres organisations communautaires, donnent toute la mesure de la montée en puissance du vote allochtone musulman aux cours des élections communales du 14 octobre 2012.