Par Édouard Tressalec, correspondant à Bruxelles pour Novopress sur les questions belges et bruxelloises. Crédit photo : Bruno Desclee via Flickr (cc)
La Belgique est une monarchie constitutionnelle. Elle est également un État fédéral composé de trois communautés (néerlandophone, francophone et germanophone) et de trois régions (la Flandre, la Wallonie et la Région de Bruxelles-Capitale). Si l’on excepte certains cas particuliers (« communes à facilités linguistiques » de Flandre et de Wallonie, minorité germanophone de Wallonie), l’on peut dire que la Flandre et la Wallonie constituent des régions administrativement unilingues, la première étant de langue néerlandaise et la seconde étant de langue française. Ne s’y présentent donc, pour la première, que des listes électorales néerlandophones et, pour la seconde, que des listes électorales francophones. La Région de Bruxelles-Capitale, par contre, est administrativement bilingue. S’y présentent donc des listes électorales néerlandophones et francophones, certaines de ces listes ayant même décidé de constituer des alliances avec des listes appartenant à l’autre communauté linguistique (exemple : MR, libéraux francophones, et Open VLD, libéraux néerlandophones, à Bruxelles-Ville).
Nous ne parlerons pas ici du cas des provinces, un niveau de pouvoir que d’aucuns considèrent aujourd’hui comme obsolète, et retiendrons que les trois régions fédérées du royaume de Belgique sont divisées en un certain nombre de communes (municipalités) dirigées par un bourgmestre (maire). La Région de Bruxelles-Capitale, par exemple, est divisée en 19 communes (dont l’une porte d’ailleurs le nom de Bruxelles-Ville, à ne pas confondre avec le niveau régional, donc !). Les élections communales belges (que doublent des élections provinciales d’un intérêt politique bien moindre), qui se déroulent tous les six ans, correspondent donc globalement aux élections municipales françaises. Ceci dit, si la municipalité fait, en France, office de subdivision administrative, en Belgique, la commune fait figure de « fief politique » pour ceux qui la dirigent, et particulièrement pour le bourgmestre. La commune, dans le cadre politique belge, constitue donc un niveau de pouvoir essentiel.
Les grandes familles et partis politiques en lice
Le paysage politique belge se divise entre quatre grandes familles politiques, réparties entre partis politiques francophones et néerlandophones :
– Les Libéraux : Mouvement Réformateur (MR, francophone) et l’Open VLD (néerlandophone).
– Les Socialistes : Parti Socialiste (PS, francophone) et Socialistische Partij Anders (SP.A, néerlandophone).
– Les Chrétiens et Humanistes : Centre Démocrate Humaniste (CDH, ex-Parti Social Chrétien, francophone) et Christen-Democratisch en Vlaams (CD&V, néerlandophone).
– Les Écologistes : Ecolo (écologistes francophones) et Groen (écologistes néerlandophones, « groen » (pron. : « groûn ») signifie « vert » en néerlandais).
Ce sont ce que l’on peut appeler les quatre familles politiques et partis « du système », ceux qui ont pignon sur rue et qui bénéficient, cela va sans dire, d’importants moyens financiers et d’un accès plus qu’aisé aux médias. On peut y ajouter deux autres formations politiques communautaires :
– Les FDF (Fédéralistes Démocrates Francophones, ex-Front Démocratique Francophone), parti de centre-gauche qui se pose en défenseur des francophones de Bruxelles contre certaines visées politiques flamandes mais peine à s’établir en Wallonie, dans le cadre de la création, plus qu’hypothétique, d’un parti politique comparable en influence à la NVA flamande. Malgré ses efforts, son influence ne semble pas devoir dépasser les frontières de la Région de Bruxelles-Capitale.
– La NVA (Nieuw Vlaamse Alliantie), parti national-libéral, c’est-à-dire mêlant à un discours nationaliste flamand, très modéré sur la question migratoire mais autonomiste, voire indépendantiste, sur le plan des réformes institutionnelles, une approche économique extrêmement libérale. La popularité et l’influence de la NVA de Bart De Wever, qui fut au centre de la dernière crise politique belge (2007-2011), durant laquelle le royaume s’était retrouvé dépourvu de gouvernement durant environ 500 jours, ne cessent de croître et l’on s’attend à une nouvelle victoire de ce parti aux élections du 14 octobre. La NVA se présente en Flandre et en Région de Bruxelles-Capitale. La principale victime de sa montée en puissance est le parti nationaliste flamand Vlaams Belang, de Filip De Winter, bien connu de toute la mouvance nationaliste. Hors de ces « grands partis », point de salut ! Se présentent à chaque élection une multitude de petits partis, de groupuscules ne bénéficiant ni de subventions, ni d’accès aux médias, autant dire que leurs chances de s’imposer sur la scène politique belge sont pratiquement nulles, à moins que ne surgisse quelque mouvement fantasque ou clownesque susceptible d’amuser et d’attirer les déçus du système, comme cela s’est vu dans le passé. Mais il ne s’agit toujours là que de feux de paille. C’est dans cette nébuleuse groupusculaire que l’on rencontre les partis nationalistes de Belgique francophone.
La situation des mouvements identitaires et apparentés
En Flandre
Depuis de nombreuses années, le paysage nationaliste flamand était dominé par le parti Vlaams Belang (ex-Vlaams Blok) de Filip De Winter. Le VB, connu pour ses positions nationalistes, pour ne pas dire indépendantistes flamandes, se fait également remarquer par des positions anti-migratoires et islamovigilantes très fermes. On ne peut pas en dire autant de sa concurrente NVA qui, si elle tient un discours très revendicatif en matière d’autonomie flamande, tout en défendant, sur le plan économique, un programme ultralibéral, se garde bien de se montrer aussi combattive sur le plan de la lutte contre l’immigration ou contre l’islamisme. Ainsi a-t-on vu, au mois de mai 2012, l’un des responsables de la NVA, Geert Bourgeois, proposer aux candidats marocains à l’immigration en Belgique, un coffret intitulé « Migrer en Flandre, introduction pour les familles immigrantes », ce qui ne semble pas constituer le prélude à une politique visant à stopper l’immigration extra-européenne, semble-t-il. Le coffret – une élégante boîte verte… – contient un DVD, un petit guide linguistique, de même que deux livrets explicatifs indiquant les documents à ne pas oublier, de même que ce que les migrants marocains doivent s’attendre à trouver en Flandre. Bref, un moyen de se donner bonne conscience et de faire croire à l’électeur flamand que l’on n’acceptera l’entrée de nouveaux migrants qu’à de strictes conditions. Sans doute est-ce cette volonté de fermeté intégrationniste qui a amené la NVA à envisager d’accepter sur la liste électorale qu’elle présente dans la commune bruxelloise de Saint-Josse, Canan Kir, cousine d’Emir Kir, Secrétaire d’État socialiste à la Région de Bruxelles-Capitale, et peut-être futur bourgmestre de la commune de Saint-Josse. L’accord n’ayant pu être conclu, Canan Kir, qui, en outre, se présente voilée et s’exprime dans un français plus qu’approximatif, a décidé de rejoindre les rangs du MR (libéraux francophones). Quoiqu’il en soit, la NVA a le vent en poupe et va certainement encore prendre nombre de voix au Vlaams Belang. Si cette évolution devait se confirmer dans les prochains mois et les prochaines années, on peut s’attendre à un net recul du Vlaams Belang aux élections européennes de 2014, ce qui ne manquera pas d’avoir des répercussions sur le niveau de représentation des nationalistes au Parlement européen, le VB se présentant depuis toujours comme un allié du FN de la famille Le Pen.
Dans la Fédération Wallonie-Bruxelles
La Wallonie et la Région de Bruxelles, sous la pression de la crise politique de 2010-2011, ont décidé de s’unir dans une « Fédération Wallonie-Bruxelles » qui est le nouveau nom de feue la « Communauté Wallonie-Bruxelles » alias la « Communauté française de Belgique ». Cette Fédération a été créée pour contrer certaines visées politiques flamandes et a pour but de renforcer la solidarité entre la Wallonie francophone et la Région de Bruxelles-Capitale, présentée, elle, comme « très majoritairement francophone », encore que l’idée selon laquelle Bruxelles serait peuplée par 85% de Belges francophones et 15% de Belges néerlandophones, appartient bel et bien à l’Histoire… Certes, les migrants d’hier et ceux qui, aujourd’hui, s’installent à Bruxelles, font le plus souvent le choix du français et non du néerlandais, et c’est ce qui fait dire que Bruxelles est encore très majoritairement francophone. Reste à savoir si ces populations allochtones francisées font forcément les mêmes choix politiques que les francophones de souche et si elles font leur un combat linguistique typiquement belge dont le caractère anachronique ne cesse de croître au rythme de l’extension de la globalisation et de l’anglicisation de la ville-région. Avoir conscience de cette réalité démographique est évidemment essentielle si l’on veut comprendre la situation politique de Bruxelles, en ce début de 21ème siècle.
En outre, vient s’ajouter à cette situation un problème fondamental, à savoir celui de la définition même de l’ « identité belge », tant est qu’elle existe. Si le Flamand s’affirme Flamand, le francophone de Belgique, lui, se voit opposer la réalité d’un royaume créé artificiellement, il y a de cela 180 ans, essentiellement dans le but de contrer les velléités d’expansion de la France et pour répondre aux besoins stratégiques de Londres. Or, sans la Flandre, une Belgique limitée à une Région de Bruxelles-Capitale en voie de globalisation rapide et à une Wallonie de création récente et dotée d’une identité aussi multiple que centrifuge (Liège n’est pas Charleroi, Namur n’est pas Arlon, le Luxembourg n’est pas le Brabant wallon, etc…), n’a pas le moindre sens. Dès lors, on pourrait penser que, orphelins d’une identité belge qui a toujours été bancale, les francophones de Belgique se tournent aujourd’hui résolument vers la France. Ce n’est pas aussi simple : les guerres des Habsbourg d’Espagne et d’Autriche contre la France et 180 ans de propagande nationale belge ont fait leur œuvre, et il faut bien reconnaître que le réflexe pro-français n’est le fait que d’une partie très minoritaire des francophones de Belgique. Ceux-ci en sont dès lors réduits à se tourner vers d’improbables identités locales (régionales, communautaires, communales), à se référer absurdement à des passés révolus (principauté de Liège, empire de Charles-Quint), à essayer de se trouver des identités de substitution (« je suis au moins aussi Croate que mon épouse, à présent ! »), voire à s’inventer une identité, sur base de vagues et lointaines références généalogiques, mythologiques ou autres. Jusqu’aux problèmes économiques et financiers récents, l’ « identité européenne » a pu servir de refuge, mais les errements de cette pseudo-Europe qu’est l’Euromarket globaliste sont parvenus à dégouter jusqu’à ceux-là. On comprendra que, dans ce climat, il est particulièrement malaisé de développer un mouvement identitaire cohérent en Belgique francophone.
Communales 2012 : la dernière charge des partis populistes et nationalistes ?
En règle générale, opposer, sans d’importants moyens financiers, une stratégie électorale à un système cadenassé, qui ne vous laisse pratiquement aucun accès aux médias, n’a tout simplement aucun sens. Cela constitue un gaspillage d’argent et d’énergie absolument inutile. C’est particulièrement vrai en Belgique francophone, en raison des réalités particulières déjà évoquées, mais également du fait du morcellement et du caractère groupusculaire des mouvements belges francophones s’inscrivant dans la nébuleuse patriotique. Malgré cela, certains des ces mouvements ont décidé de présenter des listes aux prochaines élections communales d’octobre. On peut les diviser en trois catégories, de la droite populiste au solidarisme nationaliste-révolutionnaire :
- PP : le Parti Populaire (populiste, islamovigilant et ultralibéral, ligne « Geert Wilders ») se présentera dans une douzaine de communes, dix en Wallonie et deux à Bruxelles (Molenbeek-Saint-Jean et Bruxelles-Ville).
- Ex-FN : On le sait, suite à une intervention de Marine Le Pen, les divers FN belges se sont vus interdire l’utilisation de ce sigle. Toutefois, l’affaire est loin d’être terminée et les tribunaux belges ont été saisis, chacun y allant de sa conclusion, au cas par cas. Certaines listes reprenant le sigle « FN » auraient ainsi été acceptées, alors que d’autres non. Certains ex-frontistes avaient déjà pris les devants en créant de nouveaux mouvements tels que la Fédération des Nationalistes Wallons (FNW), Solidarité Unitaire (SU), Démocratie Nationale (DN), Nouvelle Wallonie Alternative (NWA, on sent ici la volonté de rappeler la très populaire NVA flamande…). L’un d’eux a même contourné le problème de l’interdiction de l’utilisation du sigle en créant une liste… LEPEN (pour « Ligue Européenne, Patriotique, Égalitaire et Nationale » !). Bref, alors que ces partis nationalistes issus de la mouvance frontiste jouent leur survie politique, la gabegie s’étend et vire au vaudeville judiciaire.
- NATION : NATION (nationaliste-révolutionnaire, solidariste) se présentera dans trois communes, deux à Bruxelles (Evere et Forest) et une en Wallonie (Charleroi ; 2 listes : communale et provinciale).
Les divers partis de la mouvance patriotique qui ont choisi de présenter des listes ce 14 octobre, le feront donc en ordre dispersé, sous des dénominations généralement inconnues ou, à tout le moins, très peu connues du grand public, sur fond de cacophonie judiciaire, avec des moyens financiers souvent plus que limités, ce qui n’augure rien de bon pour la mouvance identitaire en Belgique francophone à court, voire à moyen terme. On peut craindre, en outre, que la moindre « micro-victoire » obtenue au milieu de ce désastre attendu (un conseiller communal obtenu ici, le résultat de 1 % obtenu là), servira de prétexte à la relance, sous le grand chapiteau politique, d’une stratégie électorale qui n’a pour seul effet que de reporter sans cesse aux calendes grecques la tenue d’un débat de fond qui devrait réunir autour d’une table la totalité de la mouvance identitaire et patriotique de Belgique francophone, afin qu’avant de se préoccuper de programmes électoraux, de constitution de listes et d’éventuels postes à pourvoir, on aborde des questions aussi fondamentales que le manque de cadres, l’adaptation de fond et de forme à notre époque, l’indispensable front commun islamovigilant, la création de cercles de réflexion identitaires, l’organisation d’activités visant à préserver et à transmettre notre héritage historique et culturel (car peut-on dire ce qu’est un identitaire qui n’a, au mieux, qu’une conscience vague de son identité ?), définir la manière dont nous percevons notre identité enracinée, mettre en commun les rares moyens médiatiques qui sont à notre disposition, etc.
Conclusion : Belgique francophone, un urgent besoin de renouveau identitaire
Lorsqu’on les critique, les partisans de la stratégie électorale aiment à faire valoir « qu’eux au moins agissent », sans prendre garde au fait que, premièrement, le mieux étant l’ennemi du bien, certaines actions peuvent parfois se révéler plus nocives que l’inaction, et que, deuxièmement, une action politique ne doit pas forcément passer par les urnes, sans compter que ladite action peut être autre que politique. C’est là une idée particulièrement difficile à faire passer auprès des plus vieux leaders et militants nationalistes qui s’enorgueillissent, pas toujours à raison – cela dit sans contester le moins du monde leur volonté méritoire d’activisme identitaire – d’un passé de militant idéologique pas forcément adapté aux réalités de notre époque. Lorsque nous transmettons à nos jeunes générations un pan de notre héritage historique et culturel, lorsque nous menons une action ponctuelle d’affichage ou autre, sans pour autant poursuivre un but politicien immédiat, lorsque nous menons une action ludique ou/et gastronomique de type « saucisson-pinard », lorsque nous organisons une visite ou une randonnée dans un lieu historique, lorsque nous nous retrouvons dans un esprit festif et communautaire, lorsque nous écrivons un article, lorsque, par notre présence, nous faisons vivre ou revivre un lieu d’identité ou, tout simplement, lorsque nous lisons, lorsque que nous écoutons un air de musique (« musique » et non « bruit », précision utile en ce début de 21ème siècle), lorsque nous admirons un tableau, et mieux encore, lorsque nous parvenons – et cela devient chose rare ! – à partager ce moment de joie enracinée avec autrui, nous ne sommes pas moins actifs que ceux qui pensent que l’action identitaire doit forcément passer par la constitution de listes électorales et par l’étude aussi fastidieuse qu’inutile, d’idéologies rances qui ont fait depuis longtemps la preuve de leur inadéquation et de leur obsolescence, mais sans doute sommes-nous mieux actifs. Oui, dès lors, à un radicalisme identitaire bien pensé.
Afin de faire face aux défis de notre temps, la mouvance identitaire de Belgique francophone doit s’ouvrir à de nouveaux horizons (c’est-à-dire laisser la parole aux militants et accueillir ceux qui, inquiets mais non convaincus par les actions politiques actuelles, restent à distance et se laissent, par dépit, absorber par la masse des déçus du système), afin de permettre le plus large rassemblement possible en vue de la création d’un grand mouvement identitaire tant en Wallonie qu’à Bruxelles.