Ayrault-Premier ministre pourra-t-il financer les projets de Ayrault-maire de Nantes ?

8 septembre 2012 | Économie, France

08/09/2012 – 14h00
NANTES (NOVOpress Breizh) –
Le projet d’ « aéroport du Grand-Ouest » progresse lentement mais sûrement. C’est ainsi que le 7 août dernier, les cinq enquêtes publiques commencées le 21 juin ont été closes. Deux de ces enquêtes sont essentielles à la poursuite du projet : elles doivent assurer l’application de la loi sur l’eau à l’aéroport et à sa desserte routière.

L’affaire démarre sérieusement en février 2008 lorsque Jean-Louis Borloo, ministre de l’écologie, signe un décret d’utilité publique, en dépit des engagements du Grenelle de l’environnement : sur le papier tout semble joué : PS, UMP et milieux économiques marchent la main dans la main. Seuls la cinquantaine de paysans concernés par la transformation de 1650 hectares de terres agricoles en plate-forme aéroportuaire, la population locale et les écologistes s’opposent à ce projet. Ce qui fait peu. C’est le vieux combat du pot de terre contre le pot de fer.

Cet « aéroport du Grand-Ouest » destiné aux vols transatlantiques se voit donc appuyé par les « puissants » de tous bords. « Le projet se fera. C’est irréversible (…) Il s’agit d’un vrai projet de développement durable (sic). Du rayonnement international du Grand-Ouest », assène Philippe Grosvalet (PS), président du conseil général de Loire-Atlantique (Ouest-France 08/07/2011).

A droite, même son de cloche. « Remettre en question l’aéroport du Grand-Ouest est un non- sens et une ineptie », croit savoir Franck Louvrier (UMP), ancien lieutenant de Nicolas Sarkozy, conseiller régional des Pays de la Loire(Presse Océan 11/07/2011). Tout aussi catégorique apparaît Sophie Jozan (UMP), conseillère municipale de Nantes : « On ne reviendra pas en arrière. Jean-Marc Ayrault est le leader de ce projet, il devra le faire passer, au risque d’apparaître brutal. Mais il est brutal, il faut le savoir. » (Libération, 10/05/2012).

Bien que reconnaissant la surcapacité régionale des aéroports (Nantes, Saint-Nazaire, Rennes, Vannes, Quimper), Jean François Gendron, président de la chambre de commerce et d’industrie de Nantes, voit grand : « Chacun veut garder son aéroport. Mais une métropole commence à éclore, donc nous avons besoin d’équipements de niveau international » (Le Monde, 11/08/2009).

Les choses sont tout aussi arrêtées du côté du « boss », Jean-Marc Ayrault. Ainsi le 30 juillet 2010, le député-maire de Nantes s’est « félicité » de la désignation de Vinci par l’Etat comme concessionnaire du futur aéroport : « C’est une bonne nouvelle pour la sécurité des Nantais ».

Et puis il y a nécessité « d’avancer » puisque « c’est le rôle d’un responsable politique digne de ce nom » (Le Monde, 03/08/2010). L’enthousiasme bétonneur saisit donc l’ensemble des élites qui se trouvent aux commandes.

Reste à vérifier si Ayrault-Premier ministre marchera du même pas que Ayrault-maire de Nantes. Depuis Matignon, fin août on a le droit de voir les choses différemment : montée des déficits et de la dette, explosion du chômage, apparition de la récession, chute dans les sondages de popularité, progression du déficit commercial, obligent. Et surtout les caisses sont vides.

Voilà de solides raisons pour remettre à plat les dossiers coûteux et discutables sur le plan de l’utilité et de la rentabilité. Plusieurs projets de lignes TGV sélectionnés par le Grenelle de l’environnement sont déjà passés à la trappe. Identifier les besoins, hiérarchiser les investissements, éliminer les lubies, étaler les choix dans le temps devient une nécessité.

Le chantier de la plate-forme aéroportuaire est estimé à 556 millions d’euros. L’Etat apporte 130 millions, les collectivités locales 115,5 millions sous forme d’avances remboursables en cas de bénéfices. Le reste (311 millions) sera à la charge du concessionnaire Vinci chargé de construire et d’exploiter le futur aéroport pendant au moins cinquante-cinq ans. Ce coût officiel est contesté par les experts qui avancent le chiffre de deux ou trois milliards d’euros. Du côté de l’Aviation civile, on parle plutôt de 4 milliards. Voilà des données qui méritent réflexion.

Les opposants au projet n’oublient pas de rappeler le projet d’extension de l’aéroport d’Heathrow à Londres, abandonné en 2010, car jugé incompatible avec les effets publics sur les gaz à effet de serre. On évoque également la construction de l’aéroport international de Berlin Brandebourg (BBI). Là, ses promoteurs se trouvent confrontés à un trou imprévu d’un milliard d’euros grevant un budget initial de 4,7 milliards d’euros. Si bien que la date de mise en fonction, initialement prévu cet été, est constamment repoussée depuis fin 2011. A tel point que ce projet d’ « aéroport du futur » est épinglé comme une véritable « débâcle » par le magazine Spiegel (Libération, 20/08/2012).

Les mêmes opposants s’appuient sur une étude, parue fin 2011 et réalisée par le cabinet CE Delft, à la demande d’une association d’élus « qui doutent de la pertinence du projet » ; CE Delft met en cause les prévisions de trafic de l’étude initiale de 2006, réalisée à la demande de l’Etat, considérant que la hausse des prix du pétrole et l’élargissement du marché des quotas d’émission de CO2 vont rendre les coûts de l’aviation plus onéreux. L’étude pointe aussi la concurrence de la future liaison TGV Rennes-Paris. Elle doute du prix estimé de l’aéroport (556 millions d’euros hors taxes) et estime que la capacité de la piste actuelle n’est pas contrainte par le nombre de passagers mais par le nombre de vols. « Les coûts d’un nouvel aéroport excèdent les bénéfices », conclut CE Delft qui prône plutôt une adaptation de l’aéroport actuel.

Mais pour Vinci et les élus qui soutiennent le projet, les statistiques récentes de l’aéroport montrent un véritable élan de croissance à long terme, justifiant le nouvel équipement. Le trafic de Nantes Atlantique a progressé de 14% en 2010, de 7,8% en 2011 et de 17% sur le mois de février. De 2000 à 2011 la progression a atteint 63% (Les Echos, 24/03/2012).

Les écologistes soulignent également que le projet a miraculeusement passé les interdits du Grenelle de l’environnement, en jouant sur les mots : ce ne serait pas une création d’aéroport mais un « transfert ». Selon eux, l’alternative au projet – la création d’une piste réorientée pour éviter le survol de la ville – n’a pas été étudié (Libération, 27/04/2012). A Jean-Marc Ayrault qui défend « un choix de raison » car le transfert de l’aéroport « répond à la sécurité des nantais en évitant le survol à basse altitude de l’agglomération », Jean-Philippe Magnen (EELV), vice –président du conseil régional des Pays de la Loire, rétorque que « l’équipement actuel n’est pas saturé, et la question du survol de Nantes peut se régler en réorientant la piste ». Selon lui, « cet aéroport ne constitue pas un projet d’intérêt général mais un projet privé » (Le Monde, 12/07/2011).

Le dossier de Notre-Dame-des-landes trouve évidemment sa place dans l’idéologie de la croissance à tout prix. A la manœuvre on trouve une grande entreprise (Vinci) qui a besoin de relais de croissance – c’est-à-dire de grands chantiers – pour maintenir son activité et satisfaire ses actionnaires et des élus condamnés à « vendre » à leurs électeurs l’illusion de la « croissance », faute de pouvoir remettre en question le tabou du libre-échange. D’où une espèce de fuite en avant destinée à mettre des rustines ici et là. Quant aux écologistes, leur argumentation apparait souvent faible car se refusant à donner la priorité à ce qui aux yeux de nos élites constitue les seuls éléments qui vaillent : coût et rentabilité. A la différence d’Hervé Kempf, les milieux d’affaires se moquent éperdument de tout ce qui peut revêtir de l’importance aux yeux du citoyen ordinaire : « Gaspillage des ressources des terres agricoles, corruption fréquente, privatisation des bénéfices, manque de transparence, refus d’examiner les argumentations critiques et les propositions alternatives » (Le Monde, 08-09/07/2012).

En mésestimant le volet économique et financier de l’opération, les écologistes se sont privés d’armes essentielles dans leur combat contre le « grand projet inutile ». La proposition de construction d’une nouvelle piste à Château-Bougon « réorientée » méritait également de dépasser le stade de l’annonce. D’autant plus qu’en 2012, la sagesse conduit tout naturellement à privilégier les formules économiques – vu l’état des finances publiques.

Crédit photo : DR.

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