Depuis toujours, la fiscalité exacerbe les questions d’identité nationale – qu’on songe seulement à la révolte du papier timbré dans la Bretagne de 1675. La situation budgétaire dégradée de certains grands pays, même parmi les plus favorables au droit du sol, les conduit à réhabiliter implicitement le droit du sang. Avec le risque de stimuler les identités locales, comme le montre l’exemple de Jersey.
La Bretagne a une frontière commune avec un important paradis fiscal – une frontière maritime. Jersey, la principale des îles anglo-normandes, qui bénéficie d’un statut d’assez large autonomie, pratique l’imposition douce. C’est d’ailleurs une bonne affaire pour ses finances, puisque les riches affluent.
L’exil fiscal est clairement une démarche de droit du sol, tout autant que l’immigration sociale : il revendique le bénéfice des lois du pays de résidence, en échappant à celles du pays d’origine. Mais la ruine de leurs finances publiques pousse les États à rattraper leurs nationaux par le col pour leur appliquer ce qu’on pourrait appeler un droit du sol fiscal. Les États-Unis viennent ainsi d’adopter des lois de délation obligeant les institutions financières du monde entier à signaler les biens détenus à l’étranger par des Américains.
La plupart des grands pays font pression sur les paradis fiscaux pour pouvoir imposer d’une manière ou d’une autre leurs citoyens installés à l’étranger (imaginez que l’Algérie ou la Turquie fassent pression sur la France pour payer elles-mêmes les allocations familiales de leurs nationaux installés dans l’Hexagone…). Pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy comme François Hollande ont annoncé leur intention de taxer les exilés fiscaux. Déjà, sous Sarkozy, une exit tax a été mise en place : les Français qui partent s’installer à l’étranger doivent payer une taxe bien réelle sur leurs plus-values virtuelles (ce que les conseillers fiscaux traduisent ainsi : si vous voulez vous enrichir, quittez d’abord la France).
Pour Jersey, donc, l’étau international se resserrait déjà. Mais voilà qu’en outre le Royaume-Uni lui-même commence à s’offusquer qu’un de ses territoires paie moins d’impôts que les autres. Le Premier ministre britannique, David Cameron, s’en est vivement pris au comédien d’origine irlandaise Jimmy Carr, qui réduit ses impôts grâce à un montage jersiais, tandis que le ministre du budget, George Osborne, annonce un durcissement de la législation.
Jersey a lancé une vaste riposte. Au menu : diversification de ses sources de milliardaires (l’île a créé des représentations en Chine et aux Émirats arabes unis), lobbying contre un changement de loi britannique et préparatifs pour une éventuelle déclaration d’indépendance.
Il est clair qu’une telle issue pourrait donner des idées à d’autres régions à l’identité marquée et aux besoins budgétaires moins criants que ceux des grands États ouverts à la mondialisation.
François Kernan
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Cet article a été publié initialement sur Novopress Breizh.