Journalistes et commentateurs se sont plu à souligner la progression en voix et en pourcentages obtenue par Marine Le Pen le 22 avril 2012, à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle ; résultats qu’ils comparent avec ceux obtenus par Jean-Marie Le Pen lors du premier tour de la présidentielle de 2007. Effectivement, en nombre de suffrages et en pourcentage par rapport aux exprimés, la comparaison est flatteuse pour Marine Le Pen. En Bretagne comme ailleurs, la poussée peut être qualifiée de forte.
Mais était-il pertinent de comparer systématiquement 2012 avec 2007, année ou le candidat de la droite, Nicolas Sarkozy, grâce à une campagne habilement menée, avait su « siphonner », au premier tour, l’électorat frontiste ? En effet, faute d’une campagne cohérente et d’avoir su « parler » à son électorat traditionnel, Jean-Marie Le Pen s’était retrouvé en caleçon. Si l’ancien président du Front National ne voyait que des avantages à bénéficier des voix de la « France d’en bas », il oubliait de défendre les intérêts des milieux populaires qui votaient pour lui. D’où un discours droitiste et libéral qui aurait pu satisfaire les électeurs d’une partie de la droite mais certainement pas ceux d’un parti « populiste ».
Erreur grossière qu’il paya cher le 22 avril 2007, alors que Nicolas Sarkozy avait su, lui, faire de la « valeur travail » son cheval de bataille. Bref, J.M. Le Pen ne s’intéressait que très peu au vécu de ses électeurs : chômage, pouvoir d’achat, logement, désindustrialisation, désintégration du tissus social en milieu rural… Seule l’immigration et l’insécurité semblaient le passionner… Ce qui est insuffisant lorsqu’on s’adresse à un public composé principalement d’ouvriers et d’employés.
Quant à sa méconnaissance des dossiers, elle apparaissait consternante dès qu’il convenait de sortir des généralités. A tel point qu’au 7/9 de France-Inter où il était invité de temps en temps, Patrick Cohen n’éprouvait guère de difficulté à le mettre dans l’embarras.
Avec Marine Le Pen, une ligne sociale, populaire et populiste est privilégiée ; ce qui lui a permis non seulement de récupérer les « égarés » de 2007, mais encore d’attirer des électeurs provenant d’autres horizons (certaines enquêtes montrent, par exemple, sa pénétration dans le secteur public).
Si comparer le premier tour de 2012 avec celui de 2007, n’est pas la meilleure idée qui soit – à cause d’un Jean-Marie Le Pen au plus mauvais de sa forme -, comparer 2012 avec 2002 semble plus parlant. En Bretagne historique, le nombre des exprimés a progressé de 585.661 (2.753.601 en 2012 contre 2.167.940 en 2002). Ensuite le nombre d’électeurs frontistes a, lui aussi, augmenté : 101.814 (356.346 contre 254.532). Enfin, en pourcentage par rapport aux suffrages exprimés, Marine Le Pen a progressé de 1,20 point (12,94 contre 11,74). Les responsables du Front national n’ont donc aucune raison de pavoiser : il n’y a pas eu de miracle en Bretagne ; cette dernière demeure pour eux une « terre de mission ».
On peut détailler géographiquement les 101.814 voix supplémentaires : 14.510 dans les Côtes d’Armor (+1,90 point) ; 17.073 dans le Finistère (+1,18 point) ; 25.278 en Ille-et-Vilaine (+1,94 point) ; 27.031 en Loire-Atlantique (+0,63 point) ;et17.922 (+0,66 point) dans le Morbihan.
Il ne faut pas perdre de vue que le nombre des exprimés a, lui aussi, notablement augmenté. Ce qui oblige à relativiser la progression en voix : + 62.426 dans les Côtes d’Armor, + 96.972 dans le Finistère, +134.744 en Ille-et-Vilaine, + 191.668 en Loire-Atlantique et + 99.851 dans le Morbihan.
Si la situation électorale, en Bretagne, apparaît encourageante pour le Front National, dès lors que l’exercice se limite à comparer 2012 avec 2007, elle l’est beaucoup moins lorsque l’on compare 2012 et 2002.La Bretagne n’est – pas encore ? – la Provence ou la Picardie.