Emmanuel Todd et le Printemps arabe : Candide au pays des merveilles [tribune libre]

29 avril 2012 | Actualités, Médias

29/04/2012 – 10h00
PARIS (NOVOpress) — En 2007, Emmanuel Todd publiait « Le rendez-vous des civilisations » en collaboration avec le démographe Youssef Courbage. Ce livre se voulait une réponse au « Choc des civilisations » de Samuel Huntington. L’ouvrage reprenait une analyse récurrente chez Emmanuel Todd, qui consiste à expliquer les évolutions politiques d’un pays en fonction de son schéma démographique.

« Le rendez-vous des civilisations » s’intéressait donc particulièrement au monde musulman. Si les auteurs notaient une très forte disparité entre les différents pays, leurs conclusions sur les pays du Maghreb étaient sans appel : en croisant les indices de fécondité, le taux d’alphabétisation (notamment des femmes) et l’évolution des structures familiales, l’on nous expliquait que ces pays avaient entamé une évolution démographique qui les conduiraient à terme à s’aligner sur les standards occidentaux.

Mieux, bien au-delà d’une analyse strictement démographique partant du principe que la baisse des taux de fécondité en Europe a coïncidé à la baisse de la ferveur religieuse, Emmanuel Todd se risquait à étendre l’hypothèse au monde arabe. « L’effacement du religieux serait-il une pré-condition de la modernisation démographique ? » Pour lui, la réponse est oui. Constatant un regain de natalité dans les pays musulmans dans lesquels on notait également une nouvelle ferveur religieuse (Malaisie, Indonésie), il était donc entendu que la chute des indices de fécondité dans le monde arabe pouvait s’expliquer par une « poussée de l’indifférence religieuse, voire de l’athéisme ».

Les faits semblaient à l’époque lui donner raison

Emmanuel Todd voulait nous démontrer à tout prix qu’il n’y a plus de problème avec l’islam dans le monde arabe et qu’il n’y a pas de poussée nataliste dans ces populations. Il persistait dans une interview parue en janvier 2011 dans le quotidien Libération. Si la Tunisie se rapprochait des standards démographiques occidentaux, le maintien d’un régime autoritaire lui semblait une anomalie. Ben Ali est certes parti depuis, mais la Tunisie est encore loin du modèle démocratique occidental avec la victoire des islamistes aux dernières élections. Dans la suite de l’interview, Emmanuel Todd nous prédisait que le prochain pays dont le régime autoritaire serait caduc, serait l’Égypte. Là aussi, depuis, le régime est tombé, mais les islamistes ont pris le pouvoir.

L’analyse d’Emmanuel Todd, selon laquelle la baisse de la natalité induit une convergence vers les standards politiques et démocratiques occidentaux, semble donc, à première vue erronée. À l’inverse, la poussée islamiste devrait induire une hausse de la natalité. Emmanuel Todd ne veut pas voir ce qui ne s’accommode pas de ses présupposés. Selon lui, ces pays vont nécessairement évoluer et se rapprocher du modèle occidental, la démographie est sans appel, le printemps démocratique est en marche dans le monde arabe. Dans ce cas, comment expliquer la poussée islamiste ?

Des chiffres obsolètes, une analyse faussée

L’on sait maintenant que les chiffres d’Emmanuel Todd sont obsolètes. Le démographe Philippe Fargues nous apprend que les taux de fécondité repartent à la hausse au Maghreb depuis une dizaine d’années en Égypte, Tunisie, Algérie, Maroc, avec une moyenne de 4 enfants par femme. Philippe Fargues nous explique pourquoi ces chiffres ne sont pas encore pris en compte : « Ces réalités sont parfaitement méconnues car les bases de données statistiques utilisées aux Nations unies ne sont pas à jour. Il faut attendre plusieurs années pour qu’elles prennent en compte des changements aussi récents. Les démographes ont pris connaissance, eux, de cette réalité grâce aux publications des statistiques des naissances des pays en question ».

Il avance d’ailleurs l’hypothèse d’une réislamisation des sociétés du Maghreb pour expliquer ces chiffres. « On peut imaginer, tout simplement, que le monde arabe résiste aux normes établies dans les pays du nord, où les taux de fécondité se sont stabilisés à environ deux enfants par femme. On peut également imaginer qu’il y a une influence d’un certain nombre de difficultés économiques. On peut enfin imaginer un rôle de la part des islamistes ».

Des conséquences en matière d’immigration vers l’Europe

Avec les conséquences que cela aura pour l’immigration future : une population de plus en plus jeune dans des pays économiquement en crise, donc de fortes migrations vers l’Europe. « On observe plus de départs lorsqu’il y a des renflements importants de générations adultes. Lorsqu’il y a de nombreux jeunes adultes, on observe souvent des phénomènes de migrations accrus ». Si l’on ajoute à cela les populations éduquées qui vont vouloir fuir des sociétés islamisées, on peut, sans être grand devin, s’attendre à une immigration encore plus massive du Maghreb vers l’Europe dans les années qui viennent.

Emmanuel Todd – véritable somnifère médiatique – continue entretemps à expliquer que le monde arabe se démocratise et qu’il n’y a pas de problème migratoire à venir puisque la natalité continue de chuter. Avec une grande « flexibilité » intellectuelle, il ne tient pas compte des dernières données statistiques qui si elles valident sa grille d’analyse (la natalité repart à la hausse si l’on assiste à une poussée de la pratique religieuse), ne valident pas pour autant la vision enchantée du monde arabe qu’il souhaite avoir : pour lui les sociétés arabes sont vouées à s’occidentaliser, c’est inéluctable. En cela, Emmanuel Todd est bien archétypal de l’intellectuel français, qui préfère avoir tort contre lui-même plutôt que d’affronter le réel.

Spoutnik, pour Novopress

Crédit photo : France 3 – capture d’écran

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