L’année 1812 s’inscrit au nombre de ces moments décisifs qui changent le cours de l’histoire. Commencée dans la paix, elle va se terminer dans la guerre. Pour l’Empire français, ce fut le commencement de la fin. En janvier au sommet de sa puissance, Napoléon régente le continent. En mai à Dresde, presque toute l’Europe lui fait la cour. En décembre tout est joué. Il vient de perdre la plus grande armée jamais réunie et doit regagner Paris pour faire face à un nouvel assaut. C’est à cette année, décisive pour l’avenir de l’Europe, que l’historien Jean-Joël Brégeon a consacré son dernier livre.
Auteur d’ouvrages consacrés à la Révolution, à l’Empire et à la Restauration – Carrier et la Terreur nantaise (1987), L’Egypte de Bonaparte (1998), Kléber (2002), Napoléon et la guerre d’Espagne (2006), La Duchesse de Berry (2009), Ecrire la Révolution française (2011) – qui font autorité, J.J. Brégeon nous entraîne très exactement deux siècles en arrière, en cette année 1812 où tout bascula. « 1812 fut l’annus horribilis par excellence. Au faîte de sa puissance, Napoléon, maître de l’Europe, vit tout s’écrouler en quelques mois », prévient-il.
Refusant à la fois de traiter l’année dans l’ordre chronologique pur et simple ou de l’aborder de façon non plus diachronique mais thématique, J.J. Brégeon a choisi habilement de combiner les deux. Soucieux de ne pas se disperser, l’historien a dû faire des choix : douze chapitres pour parler de l’essentiel, douze points majeurs pour aborder des points peut-être mineurs, mais tout à fait caractéristiques de l’époque. D’autres aspects, secondaires ou retenus comme témoignages, sont regroupés en annexe. L’ouvrage est enfin complété par treize œuvres d’arts, emblématiques de l’année 1812, commentées par l’auteur.
Pour évoquer cette année cruciale Brégeon l’inscrit dans son amont. Après avoir souligné l’originalité de la Russie et la place particulière qu’elle occupe en Europe, il insiste sur la renaissance de la Prusse et sur ce qu’il nomme l’aporie polonaise. Négligeant l’Empire d’Autriche, en position d’attente, allié contraint de la France – mariage de l’Empereur avec Marie-Louise oblige – il laisse également délibérément de côté le Royaume-Uni qui n’agit qu’en sous-main, sauf en Espagne.

L’incendie de Moscou, par J.C. Oldendorp. « La vision est celle de la fin d’un monde » (J.J.B.). Deutsches Historisches Museum, Berlin.
Mais 1812, ce n’est pas seulement l’incendie de Moscou et la Bérézina. L’auteur évoque aussi la vie tranquille, loin de la guerre, pour des illustres – Beethoven, Chateaubriand, Hegel…- et des millions d’inconnus. C’est encore l’éveil des peuples, des sentiments nationaux en Pologne, en Espagne, en Allemagne, en Russie, en Italie…Les arts, les lettres, la philosophie se mêlent à la politique et donnent des chefs d’œuvre. 1812 est l’année de Goethe, de Géricault, de Goya, de Turner ou de Canova.
Avec un angle de vue très personnel mais toujours appuyé sur une documentation rigoureuse, J.J.Bregeon nous donne là un excellent panorama général, intelligemment enrichi de « zooms » effectués sur des points précis, sur une année qui vit passer l’Empereur – « l’âme du monde » (Hegel) – du sommet de sa puissance au commencement de sa fin. A lire absolument.
1812, la paix et la guerre par Jean Joël Brégeon, Perrin, 24,50 €