La DCRI, une police privée ?

29 mars 2012 | Actualités, France, Politique

29/03/2012 – 12h00
PARIS (NOVOpress) — Il s’est produit le 16 mars dernier un événement assez inédit dans l’histoire du renseignement français : une centaine d’officiers de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) se sont rassemblés dans le hall du bâtiment hébergeant le service à Levallois. Ils voulaient exprimer leur malaise.

Depuis sa création en juillet 2008 (issue de la fusion RG/DST) la DCRI, comme d’autres corps de l’État, a perdu 12% de ses effectifs au titre de la RGPP (Révision générale des politiques publiques). Là comme ailleurs, un certain nombre de nominations « de copinage » sont effectuées. La dernière en date, celle d’une jeune femme à peine sortie de l’école comme numéro 3 d’un service, a mis le feu aux poudres. Mais le malaise est plus profond. Les agents s’interrogent sur le sens de leurs missions. Et au vu des controverses qui ont suivi l’affaire de Toulouse on ne peut que leur donner raison.

Leurs missions : surveillance des groupuscules subversifs et potentiellement dangereux, lutte contre le cybercrime, surveillance des entreprises technologiquement sensibles, contre-espionnage, et surtout la prévention et la lutte contre le terrorisme. A ce titre, la surveillance des mouvances islamistes et salafistes était érigée en priorité absolue.

La polémique des ces derniers jours concernant le laxisme de la DCRI vis-à-vis de Mohamed Merah, qui, bien qu’identifié comme « à risque » n’a pas été suivi ou surveillé plus que ça, est justifiée. Mohamed Merah, en plus d’être un petit délinquant multirécidiviste, a attiré l’attention des services après deux séjours en Afghanistan et au Pakistan. Il s’en est expliqué : « Je faisais du tourisme ». Les officiers qui l’ont interrogé n’ont pas du être dupes. Et pourtant rien ne s’est passé. Dossier clos. Pourtant son frère avait déjà été soupçonné d’avoir participé à une filière d’exportation de djihadistes vers l’Irak. M. Merah lui-même avait refait parler de lui (séquestration d’un gamin de quinze ans pour lui faire visionner des vidéos sanglantes du djihad afghan, sorties menaçantes dans la rue avec un sabre en criant « Al-Qaïda »). Cela aurait du attirer l’attention plus poussée des services et pourtant rien. B. Squarcini, le patron de la DCRI se justifie aujourd’hui en expliquant qu’on ne peut pas surveiller des gens qui n’ont encore rien fait. Ah bon ? Pourtant en matière de lutte contre le terrorisme, c’est tout à fait possible de surveiller préventivement.

Revenons en arrière. En 2008. La DCRI, à peine créée va faire son premier « coup » public. Le 7 novembre 2008 des fers à béton sont posés sur des caténaires de lignes SNCF, occasionnant des pannes de TGV et une pagaille monstre dans le trafic ferroviaire. Quatre jours après, un groupe de jeunes gens est arrêté à Tarnac pour « association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste ». La ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie déclare le jour même : « Ce sont des individus qui se caractérisent par un refus de tout dialogue démocratique et par un discours extrêmement violent, autant de motifs qui m’ont poussée à renforcer leur surveillance » On peut donc surveiller quand on le veut bien…

Détaillons certains points clés de l’affaire Tarnac, mis en parallèle avec l’affaire Merah, c’est édifiant.

Le point de départ qui signale le groupe de Tarnac à l’attention de la DCRI, c’est une note du FBI qui signale aux services français des individus soupçonnés d’être liés avec des milieux anarchistes terroristes sur le sol américain. La DCRI saute à pied joint sur l’affaire, même si par la suite le FBI, n’ayant rien trouvé de probant, classera l’affaire. Mohamed Merah était également signalé par les États-Unis, mais là rien. Pas d’affolement coté DCRI. On le laisse tranquille.

Julien Coupat et ses amis vont donc, suite à ce signalement, attirer l’attention des services, qui vont notamment se pencher sur un livre publié en 2007 « L’insurrection qui vient », dont ils soupçonnent la tête pensante du groupe de Tarnac d’être l’auteur. Énième pensum dans la lignée situationniste, le bouquin prône la contestation radicale du système et dénote une certaine fascination pour la violence émeutière des racailles des cités. Pour faire court, la jeunesse dorée fantasme main dans la main avec les racailles et les armes à la main. Pas de quoi fouetter un chat. C’est du déjà vu. Et pourtant le livre va être versé au dossier, en tant que « mobile ». Quelques phrases vagues sur la nécessité de « stopper les flux de la société » serait à l’origine des actes de sabotage sur les caténaires… On est sceptique… Mohamed Merah lui, lisait assidument le Coran et des textes djihadistes, qui appellent clairement au meurtre des infidèles et des juifs. Mais ne nous affolons pas dans les services…

Suite à cela, les enquêteurs de la DCRI vont mettre sous surveillance constante le groupe de Tarnac pendant de longs mois (dès le mois d’août 2008) : caméras de surveillance dans la ferme où ils vivaient, écoutes téléphoniques, filatures. Le soir même des sabotages, Julien Coupat et sa compagne étaient suivis par une trentaine de policiers, munis d’équipements infra-rouges et qui pourtant n’ont rien vu (PV de filature). Mohamed Merah, lui, vivait tranquillement sa petite vie, sans que personne n’enquête, ne le file ou ne le surveille un minimum.

L’instruction sur l’affaire de Tarnac suit son cours. A part le livre « L’insurrection qui vient », rien de probant n’a été trouvé. Les 10 accusés sont d’ailleurs en liberté sous contrôle judiciaire, ce qui pour des suspects d’actes terroristes est assez inhabituel…

On peut donc se demander si il n’y a pas eu dans l’affaire de Tarnac une volonté politique de faire un « coup » : ainsi on prouve que le gouvernement fait son travail pour assurer la sécurité des français, et on justifie la fusion DST/RG en mettant au crédit de la DCRI l’arrestation des « terroristes ».

La suite des évènements semble aller dans ce sens. Au lieu de s’occuper de la lutte contre l’islamisme radical qui est théoriquement sa mission prioritaire, la DCRI semble plus se préoccuper de servir les intérêts politiques du pouvoir en place : surveillance de journalistes un peu trop curieux (fadettes dans l’affaire Woerth-Bettencourt), traque des colporteurs de rumeurs sur le couple présidentiel, instrumentalisation des squelettes dans les placards des adversaires politiques (affaire du Carlton) et coup de com’ avec l’affaire de Tarnac. La DCRI est véritablement devenue de fait une police privée au service du président de la République…

Les djihadistes peuvent donc continuer à dormir tranquilles…

Spoutnik, pour Novopress

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