08/02/2012 – 17h30
PARIS (NOVOpress Breizh) – Alain Minc, le grand-prêtre de la « mondialisation heureuse » nous avait prévenus : le triple A constitue un « trésor national » (sic). Le Président de la République partageait la même conviction : « Nous avons un objectif et une obligation : conserver le AAA » (mercredi 7 septembre 2011). Il est vrai qu’à l’approche de l’élection présidentielle ce dernier avait tout à gagner à ce que le front de la finance – les investisseurs qui assurent nos fins de mois – demeurât calme. Pas de vagues, pas de mauvaises nouvelles, pas d’aggravation des comptes publics, voilà ce que le président pouvait souhaiter. Il voyait même dans ce statu quo une des clés de sa réélection : « Si nous perdons le triple A, je suis mort. C’est là-dessus que se jouera le différentiel de compétence avec Hollande : nous ferons tout pour le garder » (dimanche 23 octobre 2011).
Bien entendu, il y a tacticien et tacticien. Foch se plaisait à affirmer au moment de la bataille de la Marne : « Pressé fortement sur ma droite, mon centre cède. Impossible de me mouvoir. Situation excellente, j’attaque. » Nicolas Sarkozy, lui, est plus cérébral : « J’ai tout en tête. Mon calendrier, ma stratégie. Je veux cliver. A fond. Pour l’instant vous n’avez encore rien vu. » (Le Canard Enchaîné 22/09/11).
Rendez-vous le dimanche 22 avril et surtout le dimanche 6 mai pour vérifier l’excellence de la méthode. Le « mort » sera-t-il ressuscité ? Une certitude, avec une situation économique et sociale très dégradée et un environnement politique incertain, Nicolas Sarkozy n’avait pas besoin que l’agence de notation financière Standard & Poor’s vienne lui compliquer la vie en faisant tomber la France de AAA à AA+. C’était un vendredi 13…
Vendredi 21 octobre 2011
Standard & Poor’s publie une étude dans laquelle l’agence analyse deux « scénarios de stress ». Dans le premier cas la zone euro tombe en récession. Dans le second, à ce recul de l’activité vient s’ajouter une hausse des taux d’intérêts. Conséquence pourla France : sa note se verrait dégradée d’un cran ; elle passerait de AAA, la meilleure note possible, à AA+.
Jeudi 10 novembre 2011
La Commission européenne annonce que les pays de la zone euro connaîtront une croissance anémique de 0,5%, en moyenne, en 2012. La prévision indique 0,6% pour la France. Selon les gens de Bruxelles, « la croissance s’est arrêtée en Europe et le risque existe d’une nouvelle récession ». Nous aurions affaire à « une récession profonde et prolongée, avec de nouvelles turbulences sur les marchés financiers ».
Lundi 5 décembre 2011
Le compromis franco-allemand destiné à modifier les traités européens ne semble pas suffisant aux yeux de S & P. Si bien que, quelques heures plus tard, l’agence annonce qu’elle place « sous surveillance avec implication négative »la note de quinze des dix-sept Etats de l’union monétaire. Seuls deux grands malades (Grèce et Chypre) échapperont au piquet.
Il s’agit d’un avertissement : S & P se donne trois mois pour décider si les pays de la zone euro méritaient leur note. Pour justifier sa décision, l’agence précise que « les tensions systémiques dans la zone euro ont augmenté ces dernières semaines / jusqu’au point de faire pression à la baisse sur le degré de solvabilité de la zone euro dans son ensemble ».
Les six Etats encore notés AAA sont concernés par cette décision. Selon S & P, cinq (Allemagne, Luxembourg, Autriche, Pays-Bas, Finlande) pourraient être dégradés d’un cran tandis que la France se verrait abaissée de deux crans, à AA, la troisième note sur 22 possibles.
Vendredi 13 janvier 2012, 23 heures
Coup de tonnerre : S & P abaisse d’un cran les dettes souveraines de la France et de l’Autriche, deux pays notés AAA. En tout neuf pays sont dégradés, dont quatre (Portugal, Espagne, Italie et Chypre) de deux crans.
La note de la France passe donc de AAA à AA+, avec « perspective négative ». Selon S & P le pays conserve une bonne santé financière mais pâtit « de l’approfondissement des problèmes politiques, financiers et monétaires de la zone euro ».
« Perspective négative » signifie sérieux avertissement. En clair, la France à « au moins une chance sur trois » d’être à nouveau dégradée en 2012 ou 2013.
Plusieurs raisons expliquent la décision de l’agence :
1°) Elle estime que les mesures budgétaires annoncées sont insuffisantes pour atteindre les objectifs de réduction des déficits en 2012 et 2013 (fixés respectivement à 4,5% et 3% par le gouvernement).
2°) Elle conteste la méthode utilisée pour redresser les comptes de la Nation : « Nous croyons qu’un paquet de réformes ne reposant que sur le seul pilier de l’austérité budgétaire risque de devenir auto- destructeur. »
3°) L’accord intergouvernemental du 9 décembre 2011 concernant l’adoption d’un nouveau traité européen (la règle d’or, le mécanisme de correction automatique des déficits, la réduction de la dette publique) lui semble insuffisant « pour permettre de résoudre structurellement les difficultés financières de la zone euro ».
Bref, S & P veut, en plus de l’austérité, des réformes structurelles aptes à relancer la compétitivité des pays affectés par la crise de la dette.
La charge de la dette
Il existe un poste de dépense trop souvent perdu de vue. Dans la loi de finances, on le trouve logé dans la mission « engagements financiers de l’Etat ». C’est de la « charge de la dette » qu’il s’agit, ligne budgétaire injustement ignorée car elle croît et embellit d’année en année : 37,6 milliards d’euros en 2009, 40,5 en 2010, 46,7 en 2011 et 48,8 en 2012. Nous avons même affaire au deuxième poste de dépense de l’Etat. Dans le budget 2012, en première position, on trouve la mission « enseignement scolaire » avec 62,3 milliards d’euros, en seconde la « charge de la dette » avec 48,8 milliards et en troisième la mission « défense » avec 38,3 milliards. A coup sûr, le montant des intérêts versés par l’Etat à ses créanciers ( banques, assurances, fonds…) ne peut être considéré comme une chose négligeable. Combien la Nation pourrait-elle se payer d’hôpitaux, d’universités, de lignes à grande vitesse, de porte-avions avec ses 48,8 milliards d’euros ?
Notons également que la recette apportée par l’impôt sur le revenu est estimée à 64,5 milliards d’euros pour 2012. Autant dire que les intérêts de la dette mangent les trois quarts de cette recette fiscale.
Grâce au triple A, la France empruntait à des taux bas
Les sommes colossales engouffrées pour payer les intérêts des emprunts demeurent portant « raisonnables » (?!). En effet l’Agence France Trésor (bras armé de Bercy pour la gestion de la dette) parvient à emprunter sur les marchés à des taux faibles – la note AAA signifiant sécurité maximale pour les investisseurs. C’est pourquoi le taux moyen auquella France a emprunté en 2011 n’a été que de 2,8%, le deuxième plus bas de l’histoire après 2010 (2,5%).
Mais la situation se dégrade depuis quelque temps. Lors de l’adjudication du jeudi 5 janvier 2012, l’AFT est parvenue à placer des obligations à dix ans au taux de 3,29%. Pour ce même produit, l’écart des taux d’intérêts avec l’Allemagne se creuse depuis la fin 2011 : 3,1% pour Paris et 1,75% pour Berlin soit un « spread » de 1,3 point en décembre, contre 0,3 point en mai.
La perte du triple A compensée par la nouvelle stratégie de la Banque centrale européenne
Philippe Mills, le directeur de l’Agence France Trésor – l’homme qui vend nos obligations d’Etats aux fonds souverains, aux banques centrales, aux banques commerciales, aux compagnies d’assurances, aux fonds de pension…- estimait il y a deux mois que « ceux qui prétendent qu’il ne se passera rien le jour où la France perdra son triple A se trompent complètement » (Les Echos 23/11/11).
En 2012 la France a prévu d’émettre 178 milliards d’euros d’obligations contre 184 en 2011 et 188 en 2010 ; il lui faut en effet d’une part refinancer sa dette passée arrivant à échéance et d’autre part combler son déficit (77,8 milliards d’euros).
La baisse de la notation aurait pu se traduire mécaniquement par une hausse des taux d’intérêts dus par la France à ses créanciers. Bonne surprise, cela n’a pas été, pour l’instant du moins, le cas.
Le 19 janvier l’AFT a émis en effet 7,965 milliards d’euros à moyen terme avec des taux d’intérêt en baisse, en grande partie grâce à la stratégie généreuse de la Banque centrale européenne (BCE). La baisse est particulièrement marquée sur le taux pondéré à 5 ans, qui chute de plus d’un point, à 1,89% contre 2,82% en novembre dernier.
Les effets négatifs potentiels de la dégradation de la France par Standard & Poor’s ont donc été compensés par l’action de la Banque centrale européenne. Cette dernière a en effet prêté 489 milliards d’euros à trois ans aux banques fin 2011. La BCE a également abaissé d’un point ses exigences de dépôts obligatoires des banques de la zone euro dans le cadre de ses mesures d’assouplissement monétaire. Ce qui fait que celles-ci ont pu dégager pour un peu plus de 100 milliards d’euros qu’elles devaient laisser jusqu’à présent sur les comptes de l’institution monétaire. Ces nouvelles liquidités se sont ajoutées aux prêts de la BCE pour soutenir indirectement la demande d’obligations d’État.
Cette évolution des taux d’emprunt à l’opposé des prévisions et des déclarations des spécialistes de l’oligarchie montre l’erreur de Nicolas Sarkozy et de François Hollande de se prêter au jeu des financiers internationaux et de leurs agences de notation. En effet, en rendant à la BCE, à l’égal des autres pays dont les USA et la Chine, une partie de sa capacité à agir sur le financement des Etats membres de l’Eurozone, les responsables politiques européens ont prouvé que la volonté politique peut compenser le poids des marchés. Cependant, cette décision ne supprime pas les causes originelles de la crise actuelle de l’Europe que sont d’une part la désindustrialisation qui l’appauvrit, d’autre part une consommation supérieure à la production qui l’oblige à s’endetter. Si rien ne change en ces domaines et quelles que soient les notations des agences du même nom, demain les taux d’intérêt augmenteront.
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