Ombres et lumières d’un passé colonial, par Clément Mesdon (4/4)

20 janvier 2012 | Actualités, Culture, Europe, France

Clément Mesdon revient ici sur ce que fut la politique coloniale de la France. Alors que le débat sur la colonisation « a échappé aux historiens pour être monopolisé par des groupes mémoriels » (B. Lugan), c’est en historien authentique, soucieux de retracer la réalité de ce qu’il décrit, que l’auteur aborde la question coloniale. Traitant d’une question qui demeure trop souvent passionnelle, l’auteur s’est efforcé d’instruire à charge et à décharge le dossier d’un phénomène qui, s’il a concerné la France au premier chef pendant moins d’un siècle, s’est manifesté à toutes époques et en tous lieux. Et qui se perpétue aujourd’hui sous des formes qui, pour être nouvelles, n’en sont pas moins aussi importantes.

Exposition coloniale Paris 1931 : une France persuadée de sa mission universelle

Reste à esquisser le plus délicat, cette confrontation culturelle entre une France sûre d’elle dans la plupart des domaines et des populations dépourvues des savoir-faire qui garantissent la suprématie ou en tout cas l’indépendance. La plupart des colonisés ont souffert de cette arrogance propre à tous ceux qui se croient les maîtres du monde mais beaucoup se sont laissés fasciner par leurs maîtres et d’autres encore se sont mis à l’école du conquérant pour lui prouver leur valeur.

Le regard du colonisateur a été, trop souvent, dénué de toute bienveillance. Un racisme qui n’avait pas besoin de s’appeler ainsi hiérarchisait les hommes, « naturellement ». Mais Gide put observer que les cadres supérieurs des colonies étaient beaucoup plus ouverts, curieux et respectueux que les fonctionnaires subalternes, les petits colons et les commerçants, tous « petits Blancs » venus dans les colonies pour trouver une position sociale qu’ils n’auraient jamais eu en métropole. Ils vivaient comme des expatriés, à la française, et ne regardaient pas leur environnement sinon pour le travail et le profit. Ceux de ces hilotes qui passèrent ou s’établirent en Indochine durent souffrir car l’adaptabilité culturelle des élites fut remarquable. Ainsi, à titre d’exemple, durant la période coloniale, on n’imprima pas moins de 16 000 ouvrages en quôc ngu (romanisation de la langue vietnamienne) traitant de tous les domaines. La vulgarisation scientifique fut le fait d’auteurs de culture binaire comme Nguyen Cong Tien (1892-1971) et Hoang Xvan Han (1909-1926). Et si André Malraux eut quelques soucis avec l’autorité coloniale pour sa feuille anticolonialiste, on ne comptait pas moins de 128 quotidiens et 176 revues ou bulletins en 1939 !

Quand l'Afrique inspirait la Bretagne : faïences de Quimper créées à l'occasion de l'Expo coloniale de 1931

Une nouvelle culture était en germe comme en Algérie d’ailleurs et, dans les deux cas, elles armèrent les militants nationalistes. La reconnaissance vint moins vite pour l’Afrique noire dépourvue de langues écrites mais les avant-gardes parisiennes (cubisme, dadaïsme, surréalisme) donnèrent toute sa place à l’« art nègre ». Quant à l’ethnologie, inutile d’insister sur l’importance de chercheurs comme Paul Rivet, Marcel Mauss, Marcel Griaule, Michel Leiris, Jacques Berque ou Jean Rouch. Plusieurs prirent fait et cause pour les indépendantistes, avec une bonne dose de naïveté dont ceux-ci firent bon usage. Mais tous ont livré un « corpus » de travaux qui constituent le socle de tout ce qui se fait aujourd’hui sur ces matières. Un mot encore pour saluer l’Ecole française d’Extrême-Orient (fondée en 1900) qui ressuscita les sites khmers autour d’Angkor.

Evoquant le proche passé culturel de son pays, Samuel Sidibé, directeur du musée national du Mali à Bamako rappelle toute l’importance de l’Institut français de l’Afrique noire qui depuis Dakar ordonna collectes et recherches. S’il regrette que la recherche coloniale ait donné trop d’importance à l’appartenance ethnique et aux objets rituels, sacrés (négligeant ainsi ceux qui relevaient du domaine domestique) il n’oublie pas de stigmatiser l’artificialité culturelle de dirigeants entêtés à constituer une culture « nationale » visiblement introuvable (Médiapart, août 2010).

La colonisation française doit être approchée dans toute sa complexité. Son échec, inévitable et probablement salutaire pour les deux parties n’empêche pas de la regarder comme une ouverture originale au monde ; une manifestation première de ce que l’on appelle aujourd’hui la mondialisation ; la mise en place de circuits d’échanges, biens matériels et biens culturels auxquels il ne manquait que la parité. La désillusion et le procès sont venus des suites de la décolonisation. Les Africains par exemple ont perdu beaucoup de temps. Ce que regrettent des panafricanistes comme Cheikh Hamidou Kane qui déplore qu’on en soit resté au maillage territorial de l’époque coloniale. Il salue au passage les mérites des deux grandes fédérations coloniales françaises. Un point de vu partagé par le sénégalais Dialo Diop (opposant au président Wade) lorsqu’il s’en prend aux « pires fantoches de l’époque néo-coloniale (…) incapables de conserver les acquis de l’époque coloniale, en dissolvant par exemple les fédérations… » (Médiapart, août 2010).

La colonisation de l'Europe : arrivée d'Africains clandestins en Italie

Depuis les années 60 du siècle passé, les flux migratoires se sont inversés. Ils mettent en relation les pays européens, vieillis, « pleins », au summum de leurs capacités productives et des pays issus des empires coloniaux, jeunes, débordant d’une main d’œuvre sous-employée qui rêve d’un nouvel Eldorado. La logique et le bon sens, tels que l’entendent les oligarchies marchandes qui régentent le continent européen, voudraient qu’ils fournissent une main d’œuvre à l’Europe. Car l’Europe est pour la première fois de son histoire devenue un continent de migrants. 40 millions sont nés dans un autre continent soit plus de 10 % de la population européenne. Cette colonisation de peuplement et les incidences qu’elle a sur la vie des peuples d’Europe sont aujourd’hui au cœur du débat politique. La « décolonisation » de l’Europe risque fort d’être la question politique majeure du siècle qui commence.

Clément Mesdon

– Le premier article est ici.
– Le deuxième est ici.
– Enfin le troisième est ici.

Source : Novopress Breizh.

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