29/11/2011 – 16h30
PARIS (NOVOpress) – Ce livre pourrait faire un très bon roman d’espionnage, tant les personnages décrits au fil des pages sont pittoresques, mais l’intérêt principal du livre n’est pas là : il réside dans l’historique de la mosquée de Munich qui est le produit de trois groupes :
« Les premiers, des doctrinaires nazis comptaient utiliser l’Islam en tant qu’arme politique pendant la Seconde Guerre mondiale.
Leur stratégie survécut au déclenchement de la guerre froide. D’autres pour la plupart au service de la CIA s’inspirèrent de l’exemple nazi, convaincus que l’Islam les aiderait à vaincre le communisme.
Les derniers, des musulmans radicaux virent en la mosquée un moyen de s’implanter en Occident. » ( Page 20)
1° Cette mosquée n’est pas un simple lieu de prière destiné aux travailleurs turcs, elle a une histoire bien plus complexe.
Si elle fût inaugurée en août 1973, le projet de sa construction remonte aux années trente. Il fut élaboré par Gerhard von Mende, un Allemand de Lettonie ayant rejoint les SA en 1933 et prônant l’instrumentalisation des musulmans d’Union soviétique .
Ces hommes issus des minorités du Caucase, peu enflammés par la cause russe, démoralisés par leurs conditions de vie, désertèrent et se rendirent aux Allemands.Des dizaines de milliers furent enrôlés dans l’armée du Reich comme combattants avec l’appui du Grand Mufti : Amin al Hussein.
2° La construction débuta vers 1950, alors que les USA s’intéressaient à l’Islam dans le cadre de la guerre froide ; « Comment utiliser au mieux ces immigrés soviétiques qui se faisaient le plus souvent passer pour des Turcs afin de ne pas être renvoyés sous le joug stalinien et exécutés ? Comment les exploiter pour affaiblir l’URSS ?
Les anciens collaborateurs de Gerhardt Von Mende furent alors recherchés puis recrutés par les services de renseignements américains.
Radio liberté, au sein de laquelle plus de 70% des employés de la station avaient servi la cause nazie, était une couverture de la CIA et avait pour but de diffuser la propagande.
Il fallait encore pour contrôler le centre islamique un chef charismatique. Les Américains misèrent sur un certain Saïd Ramadan (père de Tariq Ramadan) venu préparer à Cologne une thèse de doctorat sur le droit islamique. Il fut chargé de récolter des fonds. Mais il était contesté au sein de la communauté et ne rapportait pas beaucoup d’argent, trop occupé à se rendre aux quatre coins du monde pour fomenter la révolution. Comme il méprisait les réfugiés soviétiques auxquels il reprochait leur méconnaissance de l’Islam et leur penchant pour l’alcool, il rassembla sous sa bannière les étudiants musulmans plus jeunes et plus fermes quant à la religion.
Gerhard von Mende fut mis à l’écart. C’est ainsi qu’au détriment des autres courants, les frères musulmans « se rendirent maîtres de la mosquée de Munich que leur avaient servie sur un plateau les services de renseignements américains » (p 245)
3° Dès les années 70, cette mosquée se transforma en noyau dur de l’Islam se préoccupant prioritairement de son expansion à travers le monde. Elle se soucia peu des immigrés turcs, mais tissa des liens avec des terroristes : l’un d’eux, un certain Mahmoud Abouhalimab, fut jugé coupable d’une tentative d’attentat contre le World Trade Center en 1993. Puis elle fut un centre de recrutement de jeunes combattants en Bosnie.
Malgré les attentats du 11 septembre, Hussein Obama et son équipe n’ont pas renoncé à se rapprocher de Frères musulmans, ne les considérant pas comme les pires extrémistes. Déjà, « La CIA résolut à partir de 2005 de soutenir les Frères musulmans en renouant ainsi avec sa politique des années 50 » envisageant de leur voir jouer un rôle dans l’avenir politique de l’Europe !…
En dépit d’une certaine confusion relative à des querelles de minarets, l’ouvrage de Ian Johnson présente l’intérêt de mettre en lumière
– d’une part, les divisions entre musulmans (Soviétiques et partisans de Saïd Ramadan, Turcs et Arabes),
– D’autre part l’ « islamophilie » des Allemands puis celle surtout des Américains dont nous n’avons pas fini de subir les dommages .
Malgré l’utilisation d’archives citées en dernières pages, la faiblesse du livre consiste à faire une trop large part à la narration de témoins. C’est davantage une enquête de journaliste fidèle à la tradition orale qu’une recherche d’historien, mais c’est à nous de faire un travail de recoupement et de rechercher la confirmation de certains faits à travers d’autres auteurs tels Stefano Fabéi et Alexandre del Valle .
Ian Johnson est journaliste, lauréat du prix Pulitzer.
Isabelle Laraque, pour Novopress France