[Tribune libre] Histoire du suicide occidental – Vu du Québec, par Mathieu Bock-Côté

1 novembre 2011 | Culture

Vingt ans après la chute de l’URSS, le communisme nous indiffère. Qu’en reste-t-il sinon la caserne stalinienne nord-coréenne, le socialisme tropicalo-touristique cubain ou le capitalisme-sauvage-autoritaire-à-parti-unique chinois ? Peu de choses. Pourtant, la question mérite d’être posée : le communisme a-t-il laissé un héritage ? Il faut éviter d’y répondre trop directement pour bien y répondre.

Un peu d’histoire. De 1917 à 1956, environ, le communisme était « l’opium des intellectuels ». Il aura fallu bien des révélations pour qu’ils comprennent sa vraie nature. Une fois au pouvoir, les communistes ouvraient des camps de concentration à la chaîne. Ceux qui s’y étaient convertis par humanisme (il y en avait) ont vite déchanté et se sont ralliés peu à peu à la démocratie occidentale.

Mais il y avait les autres. Ceux qui s’y étaient investis par radicalisme. Dès les années 1960, et plus encore à partir des années 1970, ceux-là ont commencé à bouder le communisme soviétique. Trop sévère. Trop pépère. Il leur fallait trouver un substitut révolutionnaire, une drogue idéologique plus dure.

Le gauchisme culturel a pris le relais. Mai 68 représente son « moment fondateur ». La critique de la civilisation occidentale a remplacé celle du capitalisme. Celle de « l’homme blanc hétérosexuel » a remplacé celle du « bourgeois ». Hier, on défendait le prolétaire. Il n’a pas voulu de la Révolution ? On l’a sacrifié pour le remplacer par « l’exclu ».

Par exemple, on a pris l’école pour cible. Il ne fallait plus introduire les enfants à la société mais miser sur eux pour la renverser en repartant la société à zéro. C’est de là, notamment que viennent les initiatives comme la réforme scolaire qui misent sur la « créativité de l’enfant » pour mieux disqualifier la transmission du savoir.

Puis, on a ciblé la famille. Au nom de l’émancipation des uns et des autres, il fallait transformer l’espace domestique en champ de bataille fondé sur la politisation systématique du quotidien. La famille devait apparemment se démocratiser : on a ainsi sacrifié bêtement l’autorité parentale.

Même la prison a été mise en joue, les voyous étant apparemment les premières victimes de la logique carcérale qui déterminerait la société bourgeoise. Certains ont même été jusqu’à faire des voyous les porteurs d’une contestation révolutionnaire fondamentale. Ce discours, on l’a entendu récemment avec les émeutes de Londres.

On a enfin ciblé la nation pour l’assimiler au racisme, à l’exclusion, à la discrimination. On cherchera à la remplacer par la société multiculturelle. L’immigré, considéré comme un « marginal d’exception », sera désormais investi d’une mission sacrée : transformer la société au nom de son droit à la différence. Nul besoin de préciser qu’on ne lui avait aucunement demandé son avis avant de lui assigner une telle mission.

Résumons : vu de gauche, la révolution passait désormais par la survalorisation des marges culturelles. Mais l’histoire connaît d’étranges mutations. À partir des années 1980, le gauchisme culturel s’est affranchi définitivement du marxisme classique. En l’espace d’une décennie, un mariage étonnant allait alors se nouer entre le gauchisme culturel et l’individualisme libertaire. Le capitalisme récoltera la mise. La chute du mur de Berlin et l’avènement de la mondialisation allaient permettre le déploiement de cette nouvelle idéologie.

Le capitalisme s’est réapproprié l’imaginaire de la Révolution. Les révolutionnaires d’hier sont devenus les publicitaires d’aujourd’hui. Pour défaire les vieilles valeurs, mieux valait miser sur un individualisme radicalisé qui, à travers sa revendication d’un droit à l’authenticité, se donnait le droit de se désaffilier de toutes les institutions sociales. Les normes sociales devaient s’adapter désormais aux revendications de chacun. Autrement dit, il n’y avait plus de société. Le marché laissé à lui-même est un remarquable dissolvant social.

Le vingtième siècle a fait beaucoup de mal aux sociétés occidentales. La vision utopique du politique, qui nous a fait oublier l’histoire, la nature humaine et certaines permanences de culture, a appauvri existentiellement nos sociétés. Elle les a déréalisés plus profondément. En d’autres mots, au vingtième siècle, les sociétés occidentales ont essayé de se suicider. Au vingt-et-unième, on constatera probablement qu’elles ont réussi.

Mathieu Bock-Côté

Source : libre reprise du site Internet de Mathieu Bock-Côté. Mathieu Bock-Côté est chargé de cours et candidat au doctorat au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Il est l’auteur de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007) et en collaboration avec Jacques Beauchemin, de La cité identitaire (Athéna, 2007). Ses travaux relèvent de la sociologie politique, de la sociologie des idéologies et de l’histoire intellectuelle. Il est par ailleurs chroniqueur au quotidien 24h, au mensuel Échos Montréal ainsi qu’à l’émission Isabelle le matin, au 98,5 fm.
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